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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/187

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indistinctement à tous les maîtres, et ont pris la science de toutes mains. A côté de la chaire de droit dont le titulaire est français et spiritualiste, c’est un matérialiste allemand qui occupe la chaire de médecine ; l’armée a été organisée par des officiers français, tandis que des Anglais dirigeaient la flotte. Comment ne serait-il pas résulté de cet éclectisme bizarre une confusion inextricable que des cerveaux encore mal équilibrés doivent avoir grand’peine à démêler ?

De même, les jeunes Japonais ont rapporté d’Europe les idées les plus diverses sans avoir eu le temps de se les assimiler. Ces intelligences, saturées de fermens trop puissans pour elles, ressemblent un peu à des bouteilles de vin mousseux dont la moindre chaleur ou le plus léger mouvement suffit à faire sauter le bouchon. Au reste l’incohérence des idées se manifeste par les discordances du costume. Le premier prince du sang, l’héritier présomptif du trône, aime à se montrer dès le matin en habit noir et en cravate blanche j avec cela il porte le chapeau noir haut déforme, orné d’un superbe galon de livrée qui ferait l’orgueil du plus beau et du plus doré des valets de pied de Londres ou de Paris.

Cette grande facilité d’imitation plus ou moins adroite paraît avoir été de tout temps le côté distinctif des populations du Japon. Aujourd’hui elles imitent l’Européen ; hier elles mettaient le même entrain hâtif, la même fougue irréfléchie à copier les inventions chinoises. On ne saurait néanmoins se défendre d’une vive sympathie pour ce peuple ingénieux et hardi qui a su se transformer si rapidement sans verser dans aucune ornière sanglante. Maintenant que la première fièvre est passée, il jugera peut-être prudent de reprendre haleine, et de marcher d’un pas plus normal dans la voie des innovations sur laquelle il s’était lancé à toute vapeur sans s’inquiéter assez de savoir où il allait. N’est-ce pas pour lui l’unique espoir de rendre véritablement fécondes les réformes qu’il est fier a juste titre d’avoir opérées ?

Afin de compléter son tour du monde, M. de Rochechouart revient en France par l’Océan-Pacifique et l’Amérique du Nord. Faut-il lui reprocher d’avoir été exclusivement frappé, pendant son court séjour aux États-Unis, par toute une catégorie de faits fâcheux, trop réels d’ailleurs et indéniables ? L’impatience et la rapidité du retour, ainsi que les fatigues du voyageur surmené, n’expliquent-elles pas suffisamment les lacunes d’une investigation restée forcément incomplète, et la sévérité rigoureuse d’un jugement sommaire à première vue ? Observateur pressé, mais toujours clairvoyant, il trouve toutefois le temps d’aborder inopinément la question sociale par le côté particulier du service domestique dont tout le monde se plaint là-bas, et les Américains au moins autant que les étrangers. Par un heureux compromis avec son amour de l’égalité, la première