Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il nous a appris dans l’Histoire de mon temps que, lorsqu’on eut vent à Berlin de ses projets sur la Silésie, l’émotion publique y fut vive et qu’il y régna de grandes appréhensions mêlées d’effarement. Les âmes faibles ou timorées présageaient la ruine de l’état ; on accusait le jeune roi de se jeter dans les aventures et d’avoir choisi pour modèle Charles XII. On critiquait ses préparatifs, ses mesures ; les frondeurs trouvaient à redire à tout. « Le prince d’Anhalt était furieux de ce qu’il n’avait pas conçu le plan ; il prophétisait comme Jonas des malheurs qui n’arrivèrent ni à Ninive, ni à la Prusse. » On a revu à Berlin quelque chose de pareil dans les mois de mai et de juin 1866. Le premier volume de la Correspondance politique, publiée par l’Académie royale de Prusse, démontre de la manière la plus décisive qu’au milieu de l’émoi universel Frédéric n’eut pas une heure d’hésitation ni d’inquiétude. Quelques semaines avant la mort de l’empereur, il s’occupait déjà d’acquérir la Silésie. La cour de Vienne, toujours nécessiteuse, avait envoyé à Berlin un émissaire juif pour y négocier un emprunt. Frédéric fit dire à l’émissaire que, sans de bonnes hypothèques et des possessions réelles, « où il pourrait avoir des garnisons, » il n’y aurait rien à faire ; mais que, si l’empereur consentait à lui engager un district de la Silésie, on pourrait conclure le marché. L’empereur n’était plus, il n’y avait plus lieu de prendre hypothèque. Frédéric interrogea son épée, qui lui conseilla de changer de méthode, et ce conseil lui parut bon. « Des troupes toujours prêtes à agir, mon épargne bien remplie et la vivacité de mon caractère, c’étaient les raisons que j’avais de faire la guerre à Marie-Thérèse, reine de Bohême et de Hongrie. L’ambition, l’intérêt, le désir de faire parler de moi, l’emportèrent, et la guerre fut résolue. »

Un rapport rédigé par son ordre, à la date du 29 octobre fait foi qu’il avait tout prévu. Il s’était dit : — Quand j’aurai fait la conquête de la Silésie, je m’efforcerai de persuader à la cour de Vienne que c’est pour son bien que je l’ai prise et dans l’unique intention d’empêcher que d’autres ne la prennent, après quoi je l’engagerai à me la céder pour reconnaître un service aussi signalé. En récompense, je lui promettrai de lui garantir ses autres possessions contra quoscumque et d’employer tout mon crédit à faire élire empereur le grand-duc de Toscane, époux de Marie-Thérèse. La cour de Vienne est toujours près de ses pièces, le meilleur moyen de la réconcilier avec mes plans « sera de lui lâcher une couple de millions, l’argent étant un objet présent, qui parle vivement à l’esprit. » Si elle refuse d’entendre raison, je m’adresserai aux puissances maritimes, à l’Angleterre, à la Hollande, ou même à la Russie, pour qu’elles pèsent sur ses décisions et qu’elles la déterminent à agréer mes offres. Si ces puissances répugnent à entrer dans mes intérêts, alors je lierai partie avec les ennemis de la maison d’Autriche, avec la Saxe, avec la Bavière, et je signerai avec elles un traité de