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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/206

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d’y donner les mains. Le roi répond : « Oui, mais à chaque cour d’une manière différente. A Londres il faut dire que, sachant sûrement que le duc de Lorraine veut conclure avec la France, je m’approche de Vienne pour le forcer en quelque façon à se mettre du parti des marins et de la religion. Aux Hollandais, il faut ajouter qu’on ne veut pas troubler le repos de l’Europe, que leurs capitaux leur seraient assurés et qu’enfin cette démarche ne tend qu’au bien public. A Hanovre, Mayence et Ratisbonne, il faut parler du cœur patriote et que je veux soutenir l’empire, protéger les débris d’une maison faible et les tirer dans le bon chemin, pourvu qu’ils veuillent le suivre. » Enfin Podewils s’informe si l’envoyé à Paris, Camas, en faisant part aux ministres français des motifs qui ont déterminé sa majesté à entrer en Silésie, ne doit pas leur laisser entrevoir à mots couverts que cette entreprise pourrait tourner au plus grand avantage de la France, pour se ménager une porte avec cette couronne. — « Bon, réplique le roi, il faut faire la patte de velours avec ces bougres. » Des paroles plus ou moins veloutées, cajoliren, amusiren, attrapiren, voilà bien le fond de la correspondance du grand Frédéric. On pense au chat de la fable, doux, bénin, gracieux, « au modeste regard, et pourtant l’œil luisant. » Ce sont les chats qui ont inventé la politique réaliste.

Le bon Podewils n’avait pas encore approfondi cette science, il avait des naïvetés, des candeurs, des ignorances singulières. La question de droit lui tenait au cœur, lui inspirait des scrupules. Il ne savait pas que le droit de la force, le droit du succès, le droit de l’épée suffit, que le reste est l’affaire des casuistes, qu’on paie grassement pour qu’ils donnent bon air aux actions équivoques et qu’ils les réconcilient avec la morale. Le 7 novembre il écrivait à son roi : « Pour la question de droit, il faut que je dise avec un profond respect à votre majesté que, quelques prétentions bien fondées que la maison de Brandebourg ait eues autrefois sur les duchés de Liegnitz, de Brieg et de Wohlau, sur Ratibor et Oppeln, sur la principauté de Jægerndorff et le cercle de Schwiebus en Silésie, il y a des traités solennels que la maison d’Autriche réclamera et par lesquels la maison de Brandebourg s’est laissée induire, quoique frauduleusement, à renoncer pour des bagatelles à des prétentions si considérables. » Frédéric se contentait de lui répondre : « L’article de droit est l’affaire des ministres, c’est la vôtre ; il est temps d’y travailler en secret, car les ordres aux troupes sont donnés. » Et le lendemain, pour l’encourager, il lui écrivait encore : « Je vous prie, faites bien mon charlatan et prenez du meilleur orviétan et du bon or pour dorer vos pilules. « Il ajoutait, le 12 novembre : « Tenez bonne contenance et ne faites semblant de rien ; la bombe crèvera au 1er de décembre 1740. » Il lui recommandait d’amuser jusque-là les ministres étrangers : « Voyons-les venir, rien ne nous