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se refusait à comprendre qu’il lui avait rendu service en lui prenant son bien ; elle s’obstinait à le lui réclamer. Elle lui offrit par l’entremise du ministre d’Angleterre à Vienne deux millions d’écus pour qu’il évacuât la Silésie, et cette offre « lui fit lever le cœur comme à une femme grosse. » Pour qui le prenait-on ? Avait-il gagné une bataille, avait-il forcé les portes de deux villes « pour attraper de l’argent ? » — « Faites partir ce faquin d’Anglais, ce coquin de négociateur que je ne puis souffrir, mandait-il à Podewils. Comptez que, s’il reste plus de vingt-quatre heures à Breslau, je prends l’apoplexie. Si je le rencontre ou si je le trouve dans mon chemin, je le dévisagerai. Sa… reine de Hongrie et son fol de roi d’Angleterre n’ont qu’à être la dupe, l’une de son orgueil, l’autre de sa sottise. » Il avait renoncé a à ajuster ses flûtes avec l’Angleterre ; » il s’était convaincu qu’elle le bernait, et il reprochait à Podewils sa crédulité. « On veut nous amuser, pour nous empêcher de nous lier avec la France et pour faire de nous ensuite tout ce que l’on voudra. On vous joue en petit garçon, vous croyez ce que vous souhaitez, mais vous n’examinez pas ce qui est vrai, et vous voulez vous persuader qu’une maîtresse p… vous est fidèle ; moi je suis le témoin de sa coquetterie et je vois de mes yeux comme elle fabrique des cornes… Nous avons affaire d’un côté aux gens les plus têtus de l’Europe et de l’autre aux plus ambitieux. Que faire donc ? La guerre et la négociation. S’il y a à gagner à être honnête homme, nous le serons, et s’il faut duper, soyons donc fourbes. »

On peut suivre jour par jour dans sa correspondance tous les tours et les détours, toutes les évolutions tortueuses de sa politique ; il nous y livre le secret de ses machinations, de ses trames. Quand il se fut résolu à lier partie avec la France, il écrivit au cardinal de Fleury le 30 mai 1741 : « Monsieur mon cousin, je viens de signer l’alliance avec le roi votre maître, ma fidélité à cet engagement vous fera oublier mes délais ; je vous dispute à présent, monsieur le cardinal, d’être meilleur Français que je le suis. » Cet excellent Français ne laissa pas de continuer à négocier avec les ennemis de la France. Il se flattait, non sans raison, que le malheur ferait fléchir l’inflexible fierté de Marie-Thérèse, que cette cour de Vienne, « embourbée jusque par-dessus les oreilles, » finirait par se prêtera un accommodement, et il se ménageait une sortie, il se réservait de planter là ses alliés, quand il lui conviendrait, et de tirer au bon moment son épingle du jeu. Sa politique se résume tout entière dans cette apostille à une lettre qu’il adressait à Podewils le 1er septembre 1741 : « Rassurez les Français, fortifiez les Bavarois, intimidez les Saxons, flattez les Hollandais, donnez de l’encens aux Danois, jouez-vous des Hanovriens et f…-vous des Autrichiens. »

On a eu raison de dire que le secret des succès remportés par le plus grand politique réaliste de ce temps est qu’il possède au suprême