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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/220

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épisodes, riche de péripéties. Il semble que d’abord ce soit l’originalité d’une situation qui le frappe, une ou deux scènes à faire qui s’emparent de son imagination tyranniquement, qui la dominent, qui l’obsèdent et qui, devenues ainsi le point du drame où tout doit aboutir, en distribuent, en règlent, en gouvernent l’économie. Aussi ne suis-je pas étonné qu’il ronge en quelque sorte le frein et qu’il subisse impatiemment cette loi fameuse des trois unités. Il est visible que partout il la rencontre comme une barrière aux caprices de son invention dramatique et que, s’il l’osait, s’il ne redoutait les critiques de l’abbé d’Aubignac et les sentimens. de l’Académie, — car il les redoute, le pauvre grand homme, et lui aussi, ce qu’il veut conquérir avant tout c’est le suffrage de ses pairs, — rompant au pseudo-Aristote dont on lui impose l’autorité, il disposerait de l’action, du temps et de l’espace avec la souveraine liberté des Calderon et des Lope de Vega. Mais au contraire, de cette même loi Molière et Racine ont fait la loi intérieure de leur art. Je n’ignore pas que depuis quelques années on a prétendu voir dans les conditions matérielles de la scène et de la représentation théâtrale au XVIIe siècle l’origine et l’explication de la règle des trois unités. Comme la scène même était encombrée de spectateurs « en habits de marquis, en robes de comtesses, » qui se donnaient d’étranges libertés parfois, comme les acteurs pouvaient à peine s’y mouvoir, on aurait dû renoncer à tout effet décoratif, et réduire l’action dramatique à n’être plus guère qu’une conversation sous un lustre. Mais on oublie que ce détestable usage ne s’introduisit au théâtre, selon toute vraisemblance, que vers 1656 ou 1657, que Corneille à cette époque en était à composer son Œdipe, et que le Cid est de 1636. A raisonner de la sorte, on en arriverait à prétendre que la liberté du drame de Shakspeare ne procède que de l’indulgence du public de son temps, et que, si le décor de Macbeth ou du Roi Lear changeait vingt ou trente fois en cinq actes, c’est qu’il y suffisait d’un écriteau portant à volonté l’inscription a ceci représente un palais » ou « ceci représente une forêt. » Conclusion en vérité d’autant plus inattendue qu’il paraît bien qu’au temps d’Elisabeth la scène anglaise, comme la scène française au temps de Louis XIV et non pas de Richelieu, ni même de Mazarin, était garnie de bancs où les élégans de l’époque « venaient faire figure. » L’une et l’autre raison, si l’on y tient, peuvent bien avoir leur valeur, mais ce sont de petites raisons. Il en est une plus générale, plus littéraire surtout, c’est que, pour peindre des caractères, il est à peine besoin des secours extérieurs, du décor, du costume, des jeux et des coups de théâtre. Si Corneille, intérieurement, a maudit plus d’une fois le pédantisme des d’Aubignac et la règle des trois unités, c’est qu’en effet, dans un système dramatique où les situations décident des caractères, les d’Aubignac sont d’impertinens censeurs et la règle devient une entrave. Mais, si Molière et Racine