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prade des pages qui aujourd’hui semblent porter comme un reflet de la mort. M. Saint-René Taillandier a été un des écrivains de notre temps qui ont le plus contribué à initier la France aux travaux et à la littérature de l’Allemagne. Avec la loyauté de son esprit, il rêvait entre les deux nations une sorte d’alliance intellectuelle ! Mais ce n’est là qu’un épisode pour cette intelligence sérieuse et active qui s’est appliquée tour à tour à débrouiller les annales obscures de la Serbie, à raviver l’image du maréchal de Saxe, à étudier avec une curiosité sympathique toutes les littératures, à commencer par celle de la France.

L’œuvre de M. Saint-René Taillandier est immense : elle touche à tous les domaines de la pensée, à tous les pays. Rien n’était étranger à cet infatigable travailleur qui connaissait familièrement presque toutes les langues, qui s’intéressait à tout, et dans tout ce qu’il faisait, dans sa critique comme dans ses études d’histoire, de philosophie ou de religion, il portait un esprit à la fois sincèrement croyant et sincèrement libéral, un savoir étendu, un jugement sûr et conciliant. Le talent de l’écrivain chez lui se ressentait de la droiture et de la dignité du caractère. Nous l’avons vu dans des momens difficiles, aux premiers temps de l’empire, opposant une fermeté courageuse et douce à toutes les pressions, restant auprès de nous malgré des menaces qui s’adressaient au professeur, gardant une indépendance dont il a usé parfois dans ces dures années pour rendre hommage à des exilés. C’était en tout un homme de bien sachant bien dire, et à tous ces mérites, honneur de sa carrière, il joignait le bonheur, prix de la sagesse et de la modération, un bonheur qui n’a été pour la première fois interrompu que par cette mort prématurée. M. Saint-René Taillandier était de l’Académie française comme M. de Sacy ; comme lui il était de ceux qui représentent les lettres françaises, ces lettres sérieuses qui en dépit de tout vivent encore, qui restent l’objet du culte des esprits bien faits, et qui plus d’une fois dans l’histoire ont reconquis pour la France le prestige, l’ascendant compromis par la guerre ou par la politique.

CH. DE MAZADE.