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je veux, si Dieu le permet et si les saintes écritures ne le défendent pas, instituer à Moscou un très haut siège patriarcal ; si cela vous semble convenable, déclarez-le. » Le clergé et les velmojes approuvèrent le projet du tsar, en ajoutant qu’il serait utile de s’assurer le consentement de toute l’église orientale, « afin que les Latins et autres hérétiques, qui écrivent contre notre sainte foi, ne disent pas que le siège patriarcal a été érigé à Moscou par la seule volonté du tsar. » On fit connaître à Joachim le désir du pieux Féodor, et ce prélat, qui s’en retournait comblé de dons, promit de porter l’affaire devant le saint-synode de l’église grecque.

Dans l’été de 1587 arriva en Russie un certain Nicolas, par lequel on apprit que les patriarches de Constantinople et d’Antioche avaient réuni le synode et consulté par messages leurs frères d’Alexandrie et de Jérusalem : le dernier devait être délégué à Moscou avec des instructions concernant l’affaire du patriarcat ; mais Boris l’attendit vainement. On sait avec quelles lenteurs calculées procèdent en ces matières les chancelleries ecclésiastiques, patientes sans doute parce qu’elles se savent ou se croient éternelles ; si le secret de ces temporisations était perdu, on le retrouverait à coup sûr entre la Porte et le Phanar. On devine d’ailleurs que le projet moscovite avait été froidement accueilli par les hauts dignitaires de l’église d’Orient, gardiens très jaloux de leurs anciennes prérogatives ; mais il n’était pas facile de répondre par un refus formel au tsar, père de toutes les grâces temporelles, et on se tirait d’embarras en différant. Personne n’entendit plus parler du délégué officiel du synode. Ce fut sur ces entrefaites que les boïars de Smolensk signalèrent à Moscou, au mois de juillet 1588, la présence dans leur ville d’un vénérable voyageur, venant des terres chrétiennes au pouvoir du Turc. C’était notre prélat, qui entrait en Russie en fort humble équipage, un peu à l’aventure, comme nous l’avons raconté plus haut.

L’empire était déjà grand, mais les voyageurs de quelle importance n’y pénétraient pas alors sans éveiller l’attention d’une police très curieuse de leurs faits et gestes. On répondit de Moscou, et sur un ton de verte réprimande, aux voïévodes de Smolensk : « Vous éviterez à l’avenir d’être aussi négligens : nul envoyé, ni aucune autre personne ne doit paraître sur les limites de votre territoire sans que nous en soyons aussitôt informés. » En même temps le tsar écrivait à l’évêque de Smolensk : « Si le patriarche demande aux voïévodes de prier dans l’église de la très sainte mère de Dieu, nous l’autorisons à le faire. Tu auras soin en ce cas que ladite église soit décemment ornée et fréquentée par le peuple, qu’il y ait grande réunion d’archimandrites, d’igoumènes et de popes ; tu iras