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fêtes religieuses, qui sont la seule réunion dont l’accès lui soit permis »,sans être accompagnée d’une duègne dont l’aspect sévère écarte les indiscrets. Quant aux jeunes filles, on les tient rigoureusement enfermées dans les appartemens intérieurs, et elles n’en sortent guère. C’est la plainte de tous les moralistes qu’il faut les épouser sans les connaître. « Elles sont, dit un philosophe, la seule, marchandise qu’on ne montre pas à l’acheteur avant qu’il l’emporte. » La société étant ainsi faite, et les rapports aussi rares entre les sexes, quelle vraisemblance pouvaient avoir ces grandes passions que chantent les poètes ? Elles n’avaient pas l’occasion de naître ; elles manquaient de cet aliment que leur donne l’habitude de se fréquenter. Elles ne pouvaient donc être qu’un hasard et un accident dans la vie ordinaire ; les poètes en ont fait la règle générale. Sur quelques faits isolés, ils ont brodé leurs inventions, et les contemporains en ont été charmés, quoiqu’il leur fût aisé de voir que les choses ne se passaient pas tout à fait autour d’eux comme dans les élégies des Callimaque ou des Philétas. C’est que le public a moins de souci qu’on ne croit de la vérité exacte des peintures. L’imagination se fait facilement un monde idéal ; elle s’habitue si vite à y séjourner qu’elle n’est plus choquée des différences qui s’y trouvent avec la réalité et qu’elle finit même par ne pas les voir. Que de nations se sont passionnées pour des œuvres qui ne représentaient pas leurs mœurs réelles, mais qui flattaient leur fantaisie par des tableaux de convention ! « Chez les poètes persans, dit un très fin critique de l’Allemagne, il n’y a pas de pièce de vers qui ne chante l’amour, le vin et. les fleurs. Or en Perse, l’amour, tel que le décrivent les poètes, est en réalité très rare ; le vin est défendu par la loi religieuse, et, à l’exception des roses au printemps, on n’y voit presque jamais de fleurs. »

Voilà comment il se fait que ces légendes d’amour, racontées par les poètes d’Alexandrie, malgré ce qu’elles avaient de faux et d’imaginaire, et quoiqu’elles se rapportent peu à la façon de vivre des Grecs, ont eu pourtant chez eux un si grand succès. Propagées par l’élégie, qui était le genre à la mode, elles pénétrèrent partout. Ce ne furent pas seulement les rois ou les princes, pour lesquels Callimaque écrivait surtout, les personnages de la cour ou les gens du monde qui en firent leurs délices ; elles descendirent beaucoup plus bas. M. Helbig a montré, en étudiant les peintures murales des villes campaniennes, jusqu’où leur popularité s’était étendue. La mythologie, comme on sait, fait presque tous les frais de ces peintures, mais, ce n’est plus celle des temps primitifs de la Grèce, qui a inspiré Homère, Eschyle ou Pindare ; c’est une mythologie efféminée, précieuse, pleine de raffinement