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respectueuse. Godounof, que le bon Arsène appelle « l’illustre archonte, duc de Kazan, » occupait une place à part. Féodor fit un pas au-devant du vénérable visiteur : les deux moines, dont l’un portait la couronne et l’autre la tiare, échangèrent dans cette première entrevue les complimens et les bénédictions d’usage ; quand le patriarche eut achevé, sur un ton fort pitoyable, le récit de ses malheurs, l’audience solennelle prit fin, et il fut prié chez la tsarine Irène, sœur de Boris.

Ici encore nos Grecs purent se croire sur les rives du Bosphore, en retrouvant des coutumes de tout point semblables. On sait que les mœurs russes du XVIe siècle imposaient aux femmes une réclusion presque aussi sévère que celle des musulmanes. Les tsarines habitaient de hauts appartemens dans le palais du Térem, — le gynécée moscovite. On peut admirer de nos jours au Kremlin cette construction élégante ; sa décoration extérieure de briques peintes, ses petites fenêtres basses à colonnettes et à châssis de vitraux coloriés, ses salles étroites aux voûtes puissantes, reliées par des escaliers en colimaçon, bien d’autres traits encore donnent au Térem l’aspect général d’un de nos logis de la renaissance, remanié, orné et meublé par le goût d’un Oriental. Le cortège s’arrêta à la porte interdite aux hommes, — seul, Godounof fut admis à accompagner le grand-duc et les prélats. Ils furent reçus dans une première chambre par les femmes de la tsarine, vêtues de blanc des pieds à la tête, sans un bijou ; notre évêque assure en termes fort galans que l’éclat de ces grâces blanches défiait celui des neiges de leur patrie. C’est surtout dans la pièce suivante, à la vue de la princesse et des splendeurs qui l’entourent, que son admiration ne trouve plus d’expressions assez fortes. Sous la voûte lamée d’or, entre les saintes figures et les icônes aux diadèmes de métaux et de pierres fines, majestueuse et parée comme l’une d’entre elles, Irène est assise sur un trône d’un travail merveilleux, Elle porte une tunique de soie de Chine, disparaissant sous les perles et les diamans. Sur sa tête brille une couronne à douze pointes, — en l’honneur des douze apôtres, — terminées par des saphirs et des émeraudes. Le bon prélat, « plongé dans une douce stupéfaction, » compte les chaînes, les colliers, les bracelets, tout le féerique écrin de joyaux et de gemmes qui demeure encore comme un témoin de sa véracité dans le musée impérial de Moscou, En se prosternant jusqu’à terre devant l’idole, Arsène a le temps d’apprécier les tapis de Perse, représentant des chasseurs à la poursuite de tigres, de cerfs, de cygnes, de faisans, de mille animaux « qui semblent respirer. » En se relevant, le consciencieux observateur constate le même luxe dans tout l’appartement, les statuettes de pierre dure sur les piédestaux, en marbre de l’Oural,