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Bohême Ottokar. Pour la première fois, des chrétiens pénètrent alors dans le bois sacré de Romowe ; Kœnigsberg est bâti, et son écusson, où figure un chevalier dont le casque est couronné, a gardé comme son nom le souvenir du roi de Bohême. Ottokar conta qu’il avait baptisé tout un peuple et porté jusqu’à la Baltique les limites de son empire ; mais c’était une vanterie, comme les aimaient les Slaves du moyen âge, qui faisaient moins de besogne que de bruit. les chevaliers au contraire, usant pour le mieux des ressources qui leur arrivaient, reprenaient et poursuivaient sérieusement la conquête. La première révolte à peine apaisée, ils envoyaient des colons fonder Memel, au delà du Haff courlandais. Dès l’année 1237, l’ordre des porte-glaives, conquérant de la Livonie, s’était fondu dans celui des teutoniques, qui aspiraient à dominer toute la Baltique orientale et tenaient déjà 100 milles de la côte. Cependant la terre prussienne n’était point soumise, et sept ans après le départ du roi de Bohême, tout se prépare pour un soulèvement nouveau. Des conciliabules se tiennent dans le bois ; un grand prêtre paraît, et les chênes se mettent à parler. Des nobles Prussiens, que l’ordre faisait élever dans des monastères, s’enfuient secrètement. Les chevaliers sentent venir l’orage et croient le conjurer par des violences : un des officiers de l’ordre invite des Prussiens qui lui sont suspects, les enivre dans un banquet, puis il sort, ferme la porte derrière lui, et, comme dit Dusbourg, réduit en cendres nobles et château. La révolte éclate pourtant, plus terrible que la première fois : le maître de Livonie est défait par les Lithuaniens ; la Courlande s’affranchit ; les princes poméraniens, bien que chrétiens, secourent les Prussiens contre les Allemands ; les châteaux de l’ordre succombent les uns après les autres et pendant dix ans les revers succèdent aux revers. Enfin affaiblis par l’effort et par des pertes énormes, les révoltés commencent à céder ; les chevaliers mettent dix nouvelles années à regagner le terrain perdu, ils affaiblissent l’ennemi par un massacre perpétuel, et le combat cesse quand les Sudaviens, petit peuple vivant au plus épais des bois, au milieu des plus grands étangs de la région, se reconnaissent vaincus et, plutôt que de subir le joug des chevaliers, passent avec leur chef, le terrible Stardo, en Lithuanie. Le dernier coin de terre où a duré la résistance est demeuré comme maudit, et le désert de Johannisburg s’étend où se pressaient jadis les villages des Sudaviens.

L’ordre venait de vivre son âge héroïque. Pendant ces années terribles, les chevaliers sont soutenus par la foi. Dans les châteaux assiégés, où ils tiennent contre toute espérance, mangeant chevaux et harnais, ils adressent d’ardentes prières à la mère de Dieu. Avant de se jeter sur l’ennemi, ils couvrent leurs poitrines et leurs épaules