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l’escarpe escaladée ; en quelques secondes, vous êtes dans Malakof. J’ai connu le capitaine de frégate russe qui commandait cet ouvrage. Il revenait de visiter les batteries noires quand il fut saisi au collet par deux zouaves. Surprendre est à la guerre le grand art. Mais qui eût jamais supposé tant d’astuce chez ce vieux solitaire que la nature semblait avoir armé pour projeter toute une meute en l’air à coups de boutoir plutôt que pour mettre les chiens en défaut ! De la part des Grecs l’expédient, si habile qu’il puisse être, eût moins étonné. Les descendans d’Ulysse ont toujours eu quelque cheval de Troie dans leur jeu.

Nous avons réussi, je l’espère, à bien faire comprendre le stratagème imaginé par le général Pélissier ; essayons maintenant de décrire celui que le pilote Ariston mit en pratique. Les deux procédés ont en réalité plus d’un point de ressemblance. On se battait depuis le matin dans la baie de Syracuse, et, pas plus que la veille, les choses ne prenaient tournure. Ariston suggère aux Syracusains l’idée de se retirer du combat à l’heure habituelle, mais non pas pour se répandre cette fois, comme ils l’avaient fait jusqu’alors, à l’intérieur de la ville. Le marché est, au contraire, transporté sur le bord de la mer. La flotte syracusaine aborde au rivage, les matelots débarquent, achètent leurs provisions sur place et font cuire à l’instant leurs alimens. « Il n’y aura plus de combat aujourd’hui, » se disent les Athéniens. On les voit à leur tour voguer en arrière et rentrera l’abri de leur estacade. Les voilà installés, eux aussi, à terre, tout entiers aux apprêts de leur repas.

Que se passe-t-il donc sous les murs de Syracuse ? D’où viennent ce tumulte, cette agitation insolite qu’on signale à Nicias ? Ce sont les matelots syracusains qui se rembarquent. Il n’y a pas à s’y tromper, les trières se détachent de terre, elles font force de rames, elles accourent, le combat va recommencer. Les Athéniens étaient encore à jeun ; déplorable condition pour se battre. Comment hésiter cependant ? Pareils au dogue accroupi sur son os et qu’on vient déranger, les Athéniens se lèvent avec un grognement sourd. La rage dans le cœur, ils montent sur leurs vaisseaux, saisissent leurs avirons et se lancent tout d’un trait, à la façon corinthienne, sur l’ennemi. La colère est aveugle, et les marins d’Athènes vont apprendre ce qu’il en coûte, dans les combats de mer, de perdre son sang-froid. Comment ! eux, les manœuvriers par excellence, ils ont la simplicité d’attaquer l’ennemi debout au corps. Mais leurs avans sont trop faibles ; ils n’y ont donc pas songé ; ils n’ont donc pas remarqué avec quelle insistance, dans les combats précédens, l’ennemi s’efforçait de leur présenter la proue ? Les Syracusains reçoivent le choc sans reculer d’un pas ; leurs proues en frémissent, les proues