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Secondés par sept vaisseaux de la marine royale, les corsaires commencèrent le siège de Carthagène ; mais ils eussent certainement échoué dans leur entreprise, s’ils n’eussent invité les flibustiers à venir à leur aide. Dès que la brèche fut ouverte par les canons de l’escadre, ces hommes intrépides s’y précipitèrent ; escaladant les chevaux de frise sous une pluie de fer, ils s’emparèrent de la ville en un tour de main. Nous avons déjà dit que la France n’entra en partage de l’île Saint-Dominique avec les Espagnols que grâce à leur concours. Le plus haut fait de l’un de ces flibustiers est celui d’un Dieppois, du nom de Legrand, possesseur, lui vingt-neuvième, d’une barque armée de quatre petits canons. Par un gros temps et une mer démontée, Legrand ne craignit pas de s’élancer à l’abordage d’un galion qui, chargé d’un énorme trésor, faisait route du Nouveau-Monde pour l’Espagne. Il s’en rendit maître en quelques instans, tellement lui et ses compagnons inspiraient de terreur aux Espagnols. Ce qu’il y a de curieux dans cette prise, c’est que Legrand, en escaladant le bord ennemi, fit couler son propre bateau.

Ces galions qui allaient porter aux rois d’Espagne l’or et l’argent des Antilles et du Mexique n’étaient pas, comme on pourrait le supposer, de simples bâtimens marchands. C’étaient de véritables vaisseaux de guerre, armés de cinquante canons, pouvant porter douze cents hommes d’infanterie ; les officiers qui les commandaient recevaient du roi leur commission ; le commandant prenait le titre de général et avait le privilège de faire arborer l’étendard royal au haut du grand mât. Indépendamment des galions qui partaient douze fois par an de Carthagène pour Cadix, et dont un si grand nombre, en longeant les Iles sous-le-vent tombèrent aux mains de nos flibustiers, il y avait aussi d’autres galions non moins convoités qui allaient de Manille à Acapulco, dans la Nouvelle-Espagne, et vice versa. Pendant notre séjour aux îles Philippines, nous avons pu recueillir quelques curieuses informations sur leur direction et leur chargement. Peut-être n’est-ce pas ici tout à fait la place d’en parler, mais elles ont leur intérêt, car tout ce qui tient aux Antilles, pays sans histoire, mérite d’être recueilli.

Il partait chaque année un vaisseau, deux tout au plus, de Manille pour Acapulco. L’époque choisie pour son départ était en juillet ; il n’arrivait à sa destination définitive, c’est-à-dire dans l’Amérique occidentale, qu’en décembre, janvier, ou même février. Après avoir débarqué sa cargaison à Acapulco, il repartait pour Manille en mars et n’y arrivait qu’en juin. Il fallait un an, à peu de chose près, pour l’aller et le retour d’un galion. Quoiqu’il n’y eût à la mer qu’un seul vaisseau à la fois, un autre se tenait prêt à partir