Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/440

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I

Les chroniqueurs diront peut-être un jour : La grande crise des années 1873 à 1879 a commencé à Vienne, le 9 mai, quelques jours après l’ouverture de l’exposition universelle de 1873. C’est ce jour-là qu’eut lieu le grand effondrement, connu sous le nom sinistre de « craquement, » le Krach. Les visiteurs qui affluaient alors dans la capitale autrichienne trouvèrent la Bourse fermée et un grand nombre d’établissemens en liquidation. Ainsi finissait une époque de prospérités, — plus apparentes, il est vrai, que réelles, — ainsi commençait une ère de souffrances que rien ne nous permet de dire close. Personne n’ignore que, ni dans les affaires ni dans la nature, les changemens n’ont lieu d’une manière brusque et imprévue, et en effet les avertissemens n’ont pas manqué. La spéculation effrénée qui emportait alors le monde financier, entraînant à sa suite une partie notable du commerce et de nombreux rentiers, avait subi vers la fin de 1872 plusieurs défaillances ; un effort surhumain avait fait remonter sur la vague la fortune des haussiers, mais pour la voir bientôt s’engloutir plus profondément. Pour bien comprendre le mouvement vertigineux qui aboutit à la catastrophe de 1873, il faut remonter à l’année 1866. La bataille de Sadowa, quelque douloureuse qu’elle ait dû être au patriotisme autrichien, n’en a pas moins débarrassé l’empire des Habsbourg d’un boulet qu’il traînait depuis des années, la Vénétie, et sa séparation d’avec l’Allemagne n’était qu’une affaire de sentiment, surtout depuis la création du Zollverein, dont l’Autriche était exclue. Au point de vue économique, on se sentait délivré. Après avoir fait leur paix avec les Hongrois, si longtemps mécontens, sans crainte désormais du côté de l’Allemagne et de l’Italie, les Autrichiens pensèrent pouvoir s’occuper en paix de leurs, intérêts matériels. Le pays a beaucoup de ressources, disait-on, elles ne demandent qu’à être exploitées.

On se hâta d’agir en conséquence. Il y avait tant à faire ! il y avait des chemins de fer à construire, des mines à exploiter, des usines à élever, des banques à établir. On commença avec une prudence relative. Les grands établissemens, on le sait, exigent de grands capitaux, on les réunit en fondant des sociétés anonymes ; or on n’en fonda que 26 en 1867. En 1868, le courage était venu, on demanda 32 « concessions » au gouvernement, car, et il importe beaucoup de retenir ce point, les sociétés anonymes avaient besoin d’une autorisation administrative en Autriche. En 1869, ce n’est plus du courage, c’est de la témérité qu’on manifeste en fondant 141 sociétés. En 1870, la guerre ralentit l’élan, mais déjà 101 autorisations avaient été données ; en 1871, le chiffre remonte