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portèrent ses sympathies. Elle plaça sans hésiter ses épargnes et ses fonds de spéculation dans ces papiers dont les cours étaient un moment si séduisans (60 pour 100 au-dessous du pair) : on se risqua et l’on gagna. Les capitalistes étaient à peine en goût d’aventures que le gouvernement prussien se lança dans ce que tout le monde, et surtout l’Allemagne, considéra comme une politique aventureuse. On se tint sur l’expectative, on laissa passer la guerre avec le Danemark (1864) et la lutte contre l’Autriche (1866). On se défiait ensuite de la France, mais, à mesure que le temps s’écoula, le courage grandit, et le mouvement avait déjà une certaine vivacité, lorsqu’en juillet 1870 la déclaration de guerre arrêta tout. La victoire resta fidèle au drapeau allemand ; un pactole vint se déverser sur le pays, et la réalité dépassa les rêves les plus audacieux. Est-il étonnant qu’on se soit jeté à corps perdu dans les affaires, que chacun ait voulu avoir sa part de l’aubaine, et que dans l’ardeur de la lutte plus d’un ait dépassé la ligne de démarcation que la loi a posée entre le permis et le défendu ? C’est, en effet, par suite de scandales de diverses sortes que les premiers avertissemens ont été donnés.

Ces scandales ont été dénoncés, du haut de la tribune, le 7 février 1873, par l’un des principaux orateurs de la chambre prussienne, M, Lasker. Les chemins de fer ne s’accordaient plus, disait-il, pour compléter le réseau des voies de communication, mais pour permettre l’émission d’actions faisant prime à la Bourse ; un fonctionnaire d’un rang élevé se prêtait à ce manège et de grands personnages en profitaient. Ce discours fit une profonde sensation dans le pays, il dégrisa plus d’un spéculateur, et la confiance était déjà ébranlée lorsque arriva la nouvelle de l’effondrement de la Bourse de Vienne. Le désastre fut presque aussi grand, la ruine presque aussi complète à Berlin que dans la capitale autrichienne. Pour bien faire saisir l’intensité de la fièvre qui s’était emparée de certaines classes de la population, nous devons rappeler que dans tout le premier quart de ce siècle, on n’avait fondé que 16 sociétés anonymes en Prusse ; dans le second quart, lorsque la machine à vapeur commençait à exercer son influence sur l’industrie allemande, on en constitua 102 ; de 1851 à 1870, on n’en créa pas 30 par an, tandis que l’année 1871 a vu naître 225, l’année 1872 même 500 sociétés anonymes ! En présence de ces excès, certains publicistes peu libéraux avaient mis en cause la loi de 1867 qui supprime la nécessité de demander une autorisation ; mais on sait que cette nécessité a été maintenue en Autriche sans servir de frein ; elle a plutôt agi comme un stimulant, à cause du prestige que l’attache administrative donne presque toujours à une affaire. Mais, quelle que soit la législation, des sociétés inutiles ne peuvent pas se maintenir ; elles n’ont qu’une vie factice, qui s’éteint bientôt