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volontiers prêts au sacrifice, mais ils l’offraient sous une forme autre que celle qui semblait acceptable aux patrons. Au lieu de laisser réduire le taux du salaire, ils consentaient à la réduction des heures de travail. Tout le mal vient de l’excès de production, disaient-ils, il faut donc produire moins ; lorsque le trop plein aura été écoulé, on pourra de nouveau nous occuper la journée entière, et de cette façon le prix de notre travail sera resté le même. — Les fabricans répliquaient : Si la production est surabondante, ce n’est pas, comme vous le croyez, notre faute. Nos concurrens se multiplient, quelques-uns produisent dans des conditions plus avantageuses que nous, nous ne pouvons les battre qu’en vendant moins cher. — Si maintenant on consulte les prix courans et les tableaux des dividendes, malgré la sympathie qu’on peut avoir pour les ouvriers, on est obligé de convenir que les fabricans ont raison. L’état du marché se mesure par ce qu’on appelle la marge, c’est-à-dire l’excédant du prix des produits sur le prix de la matière première ; or en 1874 une livre de filé valait 4 pence 1/2 de plus qu’une livre de coton en laine, en 1878 seulement 3 1/4. Pour les toiles, l’excédant sur le prix du filé était de 3 pence 1/4 en 1874 et de 1 7/8 seulement en 1878. Et si l’on ne trouvait pas ces chiffres assez éloquens, qu’on parcoure le tableau des dividendes payés l’année dernière dans les quarante fabriques par actions du Lancashire : quatorze de ces fabriques n’ont distribué aucun dividende, les autres n’ont donné que la moitié, quelques-unes moins du quart de ce qu’elles avaient pu offrir en 1877[1]

Nous ne pouvons pas avoir la prétention de faire ici un exposé complet et détaillé de la situation économique du royaume-uni, situation que des sinistres comme la faillite de la Banque de Glasgow et d’autres ne peuvent qu’aggraver, mais nous devons exprimer notre surprise de voir le Times (weekly edition, 17 janvier 1879) essayer de nier le mal, en considérant les pertes de l’un comme compensées, ou à peu près, par les gains de l’autre. A la Bourse, nous le voulons bien, le capital change de mains et reste dans le pays, mais lorsque l’usine s’arrête, ou même seulement lorsque les ouvriers sont obligés de travailler à plus bas prix, la production est réduite et le bien-être a diminué. Du reste aucun argument ne peut prévaloir contre le spectacle de la misère dont les journaux de beaucoup de localités tracent le désolant tableau.

Pareille misère semble régner aussi dans les grandes villes des États-Unis. Pendant longtemps on a cru que le mot de l’Écriture : « Il y aura toujours des pauvres parmi vous » ne s’appliquait pas à l’Amérique, ou du moins à la grande république du Nord, Ses

  1. Voyez the Statut du 20 avril 1878, p. 145.