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Rig-Véda se pose cette question r « Quelle était la forêt, quel était l’arbre, dont le ciel et la terre sont issus ? » L’Atharva-Véda considère tous les dieux comme sortis de l’arbre de Skambha, Açvalâyana raconte que, lorsque le maître donnait la licence au disciple, en lui remettant le bâton, il disait : « Tu es une canne, tu es né de l’arbre ; protège-moi maintenant de tous les côtés. » Le nom de Khat, ancêtres des Khaties de l’Inde centrale, signifie, dit-on, « engendré du bois. » Les voyageurs ont constaté chez les Hindous l’existence de traditions conformes à ces idées. Au XIVe siècle, Odoricas du Frioul entendit parler d’arbres qui, au lieu de fruits, portaient des hommes et des femmes. Le colonel Yule a remarqué que la même légende existe chez les Arabes. Si l’on veut retrouver les antiques croyances des nations, il faut les chercher dans les contes, dernière transformation des mythes primitifs. Or, dans un conte hindoustani, la Rose de Bakavali, on décrit un jardin « dont les arbres portaient des fruits qui ressemblaient à des têtes humaines. » Dans un conte des Turcs du sud de la Sibérie, rapporté dans l’important ouvrage de M. Radloff sur leur poésie populaire[1], à l’origine des choses, naquit un arbre sans rameaux, dont Dieu fît sortir sept branches, au pied desquelles naquirent les neuf chefs des races humaines. Dans un conte russe cité par M. Afanasief[2], un homme âgé, privé d’enfans, va dans la forêt, y coupe une souche et l’apporte à sa femme. Celle-ci la berce et lui chante une chanson de nourrice. Des pieds poussent d’abord, et la bûche finit par se transformer en enfant.

A la même idée de la fécondité primitive du végétal se rattachent les légendes des arbres qui produisent des agneaux ou des oiseaux, ou qui peuvent satisfaire toutes les convoitises. Ainsi le Kalpa-druma de l’Inde est un arbre qui accomplit tous les désirs. Un tel arbre était digne d’ombrager le paradis de Mahomet. Aussi Lazzaro Papi, dans ses Lettere sull’Indie orientali, dit-il que les musulmans de l’Inde racontent des choses merveilleuses sur le touba, « l’arbre de la félicité. » Tout rameau qui s’étend sur la demeure d’un élu lui fournit la nourriture la plus exquise. Il donne aux bienheureux la soie la plus fine pour se vêtir, et de son tronc sortent les plus beaux chevaux, magnifiquement harnachés. Ce tronc est si élevé, et ses rameaux s’étendent sur un si vaste espace, que le coursier le plus vigoureux et le plus rapide pourrait à peine, après un voyage de cent ans, sortir de son ombre immense. Les disciples de l’islam n’ont pas seuls transporté dans le ciel, cet arbre de vie que les Sioux de l’Amérique considéraient comme leur

  1. W. Radloff, Proben der Volklitteratur der türkischen Stämme Sud-Siberiens.
  2. Narodniya Russkya shaszki.