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frapper d’étonnement l’imagination enfantine de l’homme primitif ! Dans toutes les contrées où la civilisation n’existe pas encore, les peuples continuent de vivre au milieu des prodiges, comme l’attestent les intrépides voyageurs qui, de nos jours, parcourent dans tous les sens l’immense Afrique. L’Africain n’a pas même besoin de plonger ses regards dans la profondeur des cieux pour y chercher des objets dignes de son culte. Il heurte à chaque pas le mystère, et il adore comme fétiche tout ce que son esprit borné ne lui permet pas de comprendre. Son intelligence et son cœur ne sont pas pour lui moins mystérieux que les êtres qui l’entourent. Il confond perpétuellement le rêve avec la réalité, les hallucinations d’une tête exaltée avec les perceptions d’un cerveau vraiment sain, les convoitises et les fureurs de ses passions avec la volonté attribuée à ses stupides idoles. Des races mieux douées ont pu sans doute s’élever plus promptement à un état fort différent, elles n’en ont pas moins conservé une telle masse d’illusions que, sous certains rapports, leur adolescence ne différait guère de leur crédule enfance. Ce sont ces illusions accumulées par les siècles que les mythologues doivent expliquer de nos jours. Du peu d’accord qui règne dans leurs vues on est trop pressé de conclure qu’ils ont tous et toujours tort. Les sources des mythes étant si multipliées, est-il étonnant qu’un explorateur de ce monde infini, — « ce monde mythologique si vaste, » — s’attache avec ardeur à l’exploration d’une contrée ? Est-il plus surprenant de le voir, fièrement cantonné dans son domaine, oublier ou ignorer trop volontiers ce qui se passe chez les autres ? Aussi, si j’osais exprimer un avis dans des sujets si compliqués, je serais tentée de croire que les érudits qui s’occupent de la mythologie comparée sont plutôt exclusifs que chimériques. Après avoir déchiffré des pages plus ou moins intéressantes d’un livre aux innombrables feuillets, ils semblent trop pressés de formuler des conclusions précipitées, en présentant tour à tour les phénomènes astronomiques, les honneurs rendus aux morts, le fétichisme, etc., comme l’unique origine des mythes. Ils ne s’exposeraient pas à un pareil inconvénient s’ils se faisaient une idée exacte de l’immense puissance de l’imagination, des capricieuses fantaisies de la sensibilité, de la diversité du génie des races, de l’influence des différens degrés de civilisation. Plus on y réfléchit, plus on est convaincu que l’unité, si chère à la plupart de ceux qui font l’histoire des peuples et de leurs idées, n’existe que dans leur esprit. La nature est plus variée que leurs conceptions, et le travail de la critique moderne consiste à retrouver la prodigieuse variété des choses vivantes sous la trompeuse unité des théories exclusives.


DORA D’ISTRIA.