La Prusse n’est pas, de nos jours, la seule puissance qui se dise ou se croie investie d’une « mission providentielle. » L’Angleterre a la sienne qui, l’entraînant chaque jour plus avant dans l’Inde, ne laisse pas de lui causer de graves soucis, et la Russie poursuit la réalisation du rêve d’Ivan le Terrible et de Pierre le Grand, montrant du doigt à leurs successeurs les murs de Constantinople et l’empire de Byzance. De l’autre côté de l’Atlantique, la grande république américaine a, elle aussi, sa mission providentielle, sa manifest destiny, pour parler le langage de ses. orateurs et de ses hommes d’état.
Les mots d’ordre ont leur histoire. Programmes d’un parti politique ou d’une idée nationale, ils résument, sous une forme concise, intelligible à tous, les tendances d’une époque et les aspirations d’un peuple. Le jour où, pour la première fois, dans le congrès des États-Unis, le sénateur Sumner parla de la manifest destiny des États-Unis, le mot fit fortune, il remplaça celui de « doctrine Monroe, » qu’il résumait et qu’il élevait ainsi à la hauteur d’un dogme. La « doctrine Monroe, » première consécration officielle de la politique annexionniste, est en Amérique la source autorisée à laquelle on puise les argumens en faveur de chaque accroissement de territoire, sans se préoccuper des circonstances assez singulières qui lui ont donné naissance.