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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/662

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affirmer que sous peu la fille éclipsera la mère. Elle occupera ce que nous occupons aujourd’hui : le premier rang, et nous ne pouvons pas plus y faire obstacle que Venise, Gênes et la Hollande n’ont pu faire obstacle à notre grandeur. Un devoir urgent nous incombe, celui de préparer par un énergique effort la réduction de notre dette nationale, en prévision du jour inévitable où le fardeau dépassera nos forces. »

Ce langage pessimiste peut paraître empreint d’exagération. L’homme d’état qui s’exprime ainsi est encore sous le coup de la défaite de son parti, mais nul ne peut mettre en doute sa haute compétence financière et commerciale. Il entrevoit le moment où les États-Unis feront sur tous les marchés une concurrence redoutable aux manufactures anglaises, qui ne se maintiennent déjà qu’à grand’peine en inondant l’Europe et l’Asie de produits inférieurs. Avant lui, il y a douze ans, le comte Russell exprimait la même opinion sous une forme originale et qui fit grand bruit : Best and be thankful. La politique du « repos et de la reconnaissance rétrospective » passa pour une boutade d’humoriste, et cependant nombre d’esprits sérieux se demandaient alors et se demandent aujourd’hui combien de temps durera cet immense édifice de la puissance anglaise et si les craquemens significatifs qui se font entendre ne sont pas des avertissemens dont il importe de tenir compte.

Gouverner l’Angleterre, l’Ecosse et l’Irlande, le Canada et l’Australie impatiens, l’empire des Indes et ses centaines de millions d’Hindous et de mahométans, soutenir la Turquie, protéger l’Égypte, contenir la Chine, faire face à la Russie, maintenir sa prépondérance navale sur toutes les mers, sa suprématie commerciale sous tous les climats, certes la tâche est lourde, et le Times était-il pessimiste le jour où, poussant son cri d’alarme, il s’écriait : England totlers at the apex of her greatness (l’Angleterre chancelle au sommet de sa grandeur). Cette phrase célèbre résumait en quelques mots et devançait les aveux de M. Gladstone. L’éminent écrivain redisait, lui aussi, les causes qui avaient porté si haut la puissance anglaise. Il étudiait de près cette gigantesque pyramide dont la base est si large et la cime si élevée. Comparant l’Angleterre à un homme qui eût lentement et péniblement assemblé ces lourdes assises et gravi ces rudes échelons, il le représentait parvenu au sommet. Là l’espace manque, les vents soufflent et il chancelle debout sur le faîte.

De l’étude attentive des faits qui précèdent, une conviction se dégage et s’impose. Quelle que soit la solution qui règle le sort de la colonie anglaise, la France n’a rien à en redouter. Le Canada indépendant ne sera jamais un empire hostile pour nous. Le