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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/725

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Il fut pendant nombre d’années le pasteur le plus influent et le chef reconnu du protestantisme libéral dans le Midi français.

Il trouva encore du temps et des forces pour contribuer par ses écrits au progrès des connaissances et des idées religieuses. Sa préoccupation constante fut de séparer la religion proprement dite de la théologie : non pas du tout qu’il dédaignât cette science ou plutôt l’ensemble d’études spéciales qui sont rangées sous ce nom, mais précisément parce qu’il voulait la rendre plus indépendante, plus scientifique, en désintéressant la piété, la vie religieuse elles-mêmes de ses variations et de ses découvertes. Montrer dans la conscience et le sentiment religieux la base et la garantie du principe chrétien, mettre à l’abri par cela même ce principe des discussions de dogmes et de textes, telle fut sa pensée dirigeante, qu’il avait puisée auprès de Schleiermacher et des savans allemands de son école. Il fut en effet l’un des rares Français de son temps que ne rebutèrent pas les formes hérissées de la critique allemande et qui s’efforcèrent de lui frayer en France même un chemin qui depuis, grâce à ses efforts et à ceux de quelques autres, s’est largement ouvert. Il mourut en 1862, mais après avoir vu ses dernières années, adoucies sans doute par des soins affectueux et par la vénération dont il était l’objet, attristées par une faiblesse croissante qui le força de renoncer successivement à toutes ses occupations et finalement le condamna à l’inaction totale.

L’ouvrage de Neander, qu’il eut la patience de traduire avec une consciencieuse exactitude, se recommandait précisément par ce mélange de foi, de mysticisme et d’impartialité historique dont F. Fontanès voulait répandre en France la connaissance et le goût. Assurément nous avons vu depuis bien d’autres hardiesses et la tradition chrétienne a été bien autrement modifiée qu’elle ne l’est par les théories du bon vieux professeur de Berlin, plus orthodoxe que son traducteur. Cependant, pour qui sait lire, l’histoire du pieux Neander est déjà tout un renversement des notions antérieurement admises. On sent que le rationalisme a passé par là et que Tubingue n’est pas loin. Quand on le voit, par exemple, ramener le fameux « don des langues » à l’un des phénomènes fréquens de l’extase, faire rentrer dans le domaine subjectif les visions merveilleuses de Pierre et du centurion Corneille, reconnaître l’empire romain et Néron dans le monstre infernal décrit par l’Apocalypse, proposer une explication psychologique de la conversion de saint Paul, etc., on se dit que la critique, bien que toujours croyante, est entrée sur un terrain tout nouveau. A bien des égards l’ouvrage traduit par F. Fontanès reste un livre moderne et qu’on peut recommander à ceux qui aiment à étudier les faits étonnans qui marquent les commencemens de l’église chrétienne sans avoir à redouter les conclusions définitives de l’auteur qu’ils consultent.