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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/770

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confiance dans une protection sur laquelle on compte comme sur une promesse, ce groupement autour d’un chef auquel en retour on promet tacitement d’obéir, est-ce autre chose que le premier rudiment du contrat social ? « L’idée se développe ensuite, ajoute M. Bluntschli, la tendance obscure s’éclaire, et l’homme acquiert la conscience de l’état, Staatsbewusstsein. » Oui, et cette idée qui se développe est encore celle du contrat, cette tendance qui s’éclaire est la tendance à contracter, cette conscience de l’état est la conscience d’une réciprocité entre les volontés qui est l’essence même du contrat.

Aussi, à côté des violences de toute sorte qui ont influé sur la formation des sociétés, l’histoire nous montre que la liberté a eu sa part. Quelle est la plus ancienne des sociétés, demande Rousseau, sinon la famille, la seule qui soit fondée uniquement sur la nature ? Or, si l’union de l’homme et de la femme fut souvent œuvre de violence, elle fut souvent aussi œuvre de consentement, et elle ne se maintient d’ordinaire que par un commun accord. Les enfans aussi, après un certain âge, restent unis aux parens par un lien volontaire ; « la famille elle-même, dit Rousseau en exagérant une pensée vraie, ne se maintient donc que par convention. » C’est aussi par une convention plus ou moins spontanée ou explicite que plusieurs familles se sont réunies en tribus et les tribus en peuples : la conquête n’a pas tout fait. D’ailleurs la force même ne produit des effets durables que si elle finit par se faire accepter des volontés. Le peuple conquis accorde, plus ou moins provisoirement, un consentement passif à la conquête. Toute trêve même est un contrat entre les belligérans. — Nous naissons pourtant, objecte M. Bluntschli, membre d’une société déterminée, et cela malgré nous. — Sans doute, mais nous acceptons ensuite le fait accompli, et, quand nous arrivons à l’âge de majorité, nous adhérons par nos actes mêmes au contrat social en vivant au sein de l’état et sous les lois communes de l’état. Ce n’est pas là seulement ce que les juristes nomment un quasi-contrat, comme quand quelqu’un paie par erreur la somme due par un autre ; c’est un contrat réel dont le « signe juridique » est l’action au lieu d’être une parole ou une signature. Pendant notre enfance, on a préjugé notre consentement, et on a eu raison, car quel motif aurions-nous pour vouloir vivre seuls dans une île déserte et non en France, en Allemagne ou ailleurs ? — Enfin toute constitution politique, surtout dans les pays de suffrage universel, n’est autre chose qu’un renouvellement du contrat social, et cette fois un renouvellement solennel, par écrit et devant témoins. Nous pouvons donc déjà conclure que l’étude de l’histoire nous révèle elle-même une loi de rapprochement pacifique entre les hommes, qui a toujours agi de concert avec la loi de rapprochement violent ou de guerre. Toute l’agitation humaine tend à un