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principe de ces institutions est théoriquement faux (par exemple la légitimité), et alors il est vrai de dire que, moins on sera conséquent dans la pratique avec ce principe, plus on en palliera les inconvéniens ; ou le principe est vrai, et alors c’est dans ce principe même, compris en son sens exact et en toute son étendue, qu’il faut chercher le remède au mal. La « souveraineté du peuple, » par exemple, mise en avant dans le Contrat social de Rousseau, est un principe exact ou inexact, complet ou incomplet, selon qu’on l’interprète comme l’asservissement des individus à l’état ou comme l’égalité des libertés reposant sur un contrat réciproque. Si l’on prend le principe en son vrai sens, il n’y aura jamais dans la pratique aucun avantage à s’en écarter plus que ne l’exigent les résistances du milieu et la nécessité des circonstances. Quand le but est bon et qu’il est même le seul bon, l’impossibilité de l’atteindre par la voie la plus immédiate et la plus courte peut obliger à modifier les moyens, mais non à changer le but lui-même. Quoi qu’il arrive, les sociétés modernes doivent toujours viser à l’établissement progressif de la liberté et du régime contractuel.

Stuart Mill fait une dernière objection à la méthode française : — Il n’y a point, dit-il, de règles nécessaires et absolues comme celles que posent les politiques français, pas plus qu’en médecine il n’y a de précepte invariable ; c’est là leur troisième erreur. Ne ressemblez pas aux médecins qui tuent leurs malades selon les règles, ni aux tacticiens de la vieille école qui, dans leur lutte avec Napoléon, aimaient mieux perdre la bataille selon les règles que la gagner contre les règles ; un praticien sage ne considérera jamais les règles de conduite que comme provisoires. » — Le conseil de Stuart Mill est excellent quand il ne s’agit que des applications secondaires, des voies et moyens particuliers pour atteindre le but ; mais encore faut-il que le but même et la direction générale soient constans : un médecin n’est pas absolument obligé à donner tel ou tel remède, mais il est absolument obligé à prendre pour but la guérison et non la mort de son malade ; un tacticien n’est pas attaché à telle règle secondaire de tactique, mais il doit se proposer de vaincre et non d’être vaincu. Au reste, il est inexact qu’on puisse être tué ou battu selon les règles, car alors les règles sont fausses : le remède n’est pas de n’en point avoir, mais d’en avoir de bonnes. Un « politicien » sans but fixe, sans principe assuré, sans idéal, ne sait plus où il va ni où il mène les autres. L’école française a donc raison de ne pas abandonner à l’arbitraire la direction essentielle du mouvement social : liberté, égalité, justice, humanité ; c’est le reste qui est affaire de calcul secondaire, d’application spéciale, parfois d’expédiens.

Stuart Mill, qui vient d’adresser toutes ces objections à l’idéalisme