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Si la science sociale était achevée conformément à la méthode rigoureuse et compréhensive que nous avons essayé de décrire, on verrait non-seulement toutes les fins que la législation et la politique doivent poursuivre se ramener à une seule, mais encore tous les moyens d’exécution se subordonner à un moyen supérieur. Nous savons déjà que la liberté est le but suprême à atteindre, ajoutons maintenant qu’elle est aussi à elle-même son principal moyen et son meilleur instrument. Le jeu et l’équilibre des forces ou des intérêts ne doit faire que suppléer à l’accord des libertés ; on n’en doit appeler aux voies de coercition et de contrainte, aux expédiens et compromis de toute sorte, que pour remplacer la liberté et en vue de la liberté même. L’idéal serait donc que, dans l’évolution rationnelle de la société, dans le grand syllogisme social (comme dirait Hegel), tous les élémens étrangers à la volonté même des individus, c’est-à-dire les forces brutales et les moyens de contrainte, disparussent un jour ; alors, de même que la fin unique serait la liberté, le moyen unique serait encore la liberté. Irréalisable en sa plénitude, cet idéal de l’état parfait peut du moins se réaliser progressivement. Il se réalise même sous nos yeux, puisque en fait, au sein des états modernes, nous avons vu toutes les relations sociales et politiques tendre à s’absorber dans les relations contractuelles, où la liberté demeure seule en face de la liberté.

S’il en est ainsi, nous pouvons conclure en terminant cette étude que nous possédons l’idée maîtresse de la science sociale à venir, l’idée qui doit lui fournir et ses principes et sa méthode. Chaque science repose sur un fait primitif, sur un rapport élémentaire dont le reste n’est que le développement : si, par exemple, les sciences qui étudient la constitution des corps parvenaient jusqu’aux premiers élémens des choses, elles verraient tout sortir d’une combinaison primitive dont la simplicité enveloppe en germe les combinaisons les plus diverses. De même, dans la science sociale, tout se ramène à un rapport essentiel entre les élémens mêmes de la société, c’est-à-dire entre les personnes : ce rapport primitif, que nous avons essayé de dégager, cette combinaison première dont tout le reste doit être la transformation, c’est le contrat, qui maintient l’égalité des libertés dans leur association mutuelle. Multipliez à l’infini le contrat, transformez-le, étendez-le, appliquez-le à tous les rapports des hommes, de telle sorte que dans la vie sociale tout soit réellement l’œuvre de la volonté de tous, et vous vous rapprocherez peu à peu de la seule société qui soit conforme à la justice : une société où tous seraient parfaitement libres et où tous cependant seraient unis.


ALFRED FOUILLEE.