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II

Cette corporation se recrute sans préjugé aristocratique : l’ordre, fondé par un inconnu, soutenu et relevé, après la chute de Jérusalem, par des marchands de Lubeck, marchand lui-même en même temps qu’agriculteur et industriel, ne peut avoir de mépris pour la bourgeoisie. Il se compose de frères ecclésiastiques et de frères laïques : il a des frères ecclésiastiques, qui sont les prêtres de ses maisons, pour dépendre le moins possible des évêques ; les frères laïques sont chevaliers ou simplement frères : les premiers pointent seuls le manteau blanc à croix noire et se réservent les dignités ; les autres, qu’on appelle les manteaux gris, ont les petits emplois où ils rendent de grands services, car les chevaliers ne sont point propres aux détails d’une administration compliquée qui use beaucoup de parchemin en rapports et comptes rendus. Ces frères ne sont pas relégués dans des bureaux ni tenus en petite estime : ils combattent, figurent dans l’escorte du grand maître, siègent et votent dans le consistoire où il est élu.

L’élection du chef de l’ordre se fait avec une simplicité solennelle. Quand un grand maître est mort, des messagers portent la nouvelle dans les commanderies de Prusse, de Livonie et d’Allemagne, requérant chaque commandeur de se rendre à Marienbourg, accompagné du « meilleur » des frères de la commanderie. Au jour dit, le consistoire se réunit. Un chevalier, qui fait fonction de grand maître, désigne un « commandeur électoral ; » celui-ci choisit un second électeur, qui, d’accord avec lui, en nomme un troisième, et ainsi de suite jusqu’à ce que le collège soit constitué. Il compte treize électeurs : un prêtre, huit chevaliers, quatre simples frères, choisis de façon que les divers pays soient représentés et qu’aucun n’ait la majorité. Les treize jurent qu’ils n’éliront point un bâtard ni un chevalier qui ait subi pour faute contre la chasteté ou pour vol une pénitence d’un an ; le commandeur nomme son candidat et ordonne aux autres de proclamer le leur en toute franchise et liberté. L’élection faite, les cloches sonnent ; les frères ecclésiastiques entonnent le Te Deum, et l’élu se rend à l’église. Il entend une allocution sur les devoirs de sa charge afin qu’il n’en ignore et ne puisse arguer de cette ignorance au jour du dernier jugement, puis il reçoit l’anneau et les insignes de la maîtrise des mains du prêtre qu’il embrasse. Point de prélat, point de nonce ni d’ambassadeur à cette cérémonie : l’ordre est chez lui, fait ses affaires lui-même, sans témoins, et cette élection est un acte de souveraineté réglé de telle