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offrirent la leur pour terminer une guerre avec les Lithuaniens.

Hors des villes, il y avait en Prusse nombre d’hommes libres, sorte de vassaux de l’ordre ; c’étaient des Allemands, des Prussiens qui avaient mérité, par la persistance de leur fidélité, de conserver la liberté, et des Polonais privilégiés. Immédiatement au-dessous d’eux étaient les paysans des villages allemands. En Prusse comme en Brandebourg, les villages furent bâtis par entreprise. Un entrepreneur recevait du grand maître ou d’un commandeur une concession de terrain, à charge pour lui de trouver des colons et de garantir le paiement de la redevance foncière, après l’écoulement d’une période franche de quelques années ; il jouissait personnellement du droit de Culm, et, le village fondé, en devenait le bailli héréditaire. Les paysans ne tenaient point directement leurs terres de l’ordre, comme les bourgeois de Culm ; mais la charte donnée à l’entrepreneur réglait les conditions auxquelles ils les tenaient de celui-ci et les protégeait contre l’arbitraire ; ils devaient un cens et le service militaire, auquel s’ajouta bientôt la corvée pour les services publics : leur propriété n’était donc pas pleinement libre ; mais ils avaient la pleine liberté personnelle et le servage n’atteignit en Prusse les paysans allemands qu’après les grands malheurs du XVe siècle. Jusque-là, les paysans prussiens et polonais étaient les seuls qui n’eussent point de droit : aucun contrat ne les garantissait, et ils étaient en fait taillables et corvéables à merci.

Les officiers teutoniques perçoivent dans leur circonscription l’impôt foncier établi par les chartes des villes et villages et la dîme qui appartient à l’ordre, en vertu de conventions conclues avec les évêques. L’ordre a d’ailleurs, comme tous les souverains, ses droits sur les mines, sur les eaux et forêts, sur la chasse et sur la pêche, et les riches revenus de ses immenses domaines. Les officiers sont aussi chefs militaires du district, et siègent dans les tribunaux des villes et dans les tribunaux de pays (Landgerichte) où les hommes libres jouissant du droit de Culm sont jugés par leurs pairs sous la présidence d’un juge élu. Les commandeurs et les avoués n’ont d’ailleurs qu’un droit de présence, sans part au jugement ; l’ordre n’est juge que sur ses propres membres et sur les paysans polonais ou prussiens qui lui appartiennent. Ici se retrouve encore cette conciliation remarquable entre les droits du souverain et les privilèges des sujets. Pendant la belle période de l’ordre, c’est-à-dire au XIVe siècle, son gouvernement est léger à ceux qu’il gouverne ; l’impôt n’est point trop lourd, ni le service militaire, parce que l’ordre a sa richesse personnelle et qu’il est lui-même une armée permanente. Les obligations qu’il impose sont la reconnaissance des services qu’il a rendus aux colons en leur donnant