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arbres, une belle nappe d’une eau limpide, dans laquelle se reflète le paysage tout entier comme dans un miroir, est retenue par une digue qui la laisse déborder avec un bruit frais. Quel contraste ! D’un côté de la chaîne, les montagnes arides et solitaires, de l’autre cette vision de lumière, de gaîté et de vie. Ceux qui vantent le chêne au détriment du palmier ne se rendent pas compte de l’élégance de cet arbre de l’Orient, qui garde ses feuilles toute l’année et se détache finement dans sa forme svelte et gracieuse avec ses longues palmes aux arêtes déliées sur un ciel profond. L’eau courante de la rivière alimente l’oasis, qui compte quarante-cinq mille dattiers. On sait que la plupart des arbres de l’Orient demandent à être arrosés tous les jours. Les Arabes ont pour leurs jardins un système ingénieux de canaux, qu’ils appellent seguïas. En nous rendant au village, nous demandons à rester le plus longtemps possible à l’ombre. Le meilleur moyen est de suivre les petits sentiers de l’oasis. Nous traversons deux fois la rivière, sautant de pierre en pierre, passant, tantôt sous un bosquet de figuiers, tantôt auprès de belles touffes de grenadiers chargés de leurs fruits ; quelquefois franchissant des seguïas, en nous aidant du tronc rugueux d’un palmier, pour descendre dans le lit de la rivière aux endroits où il est peu profond. Une partie de l’oasis est divisée en jardins enclos de murailles de terre jaune et séparés par des ruelles sombres.

On nous avait dit que les femmes d’El-Kantara avaient la réputation d’être jolies et très blanches, ce qui avait donné aux savans l’idée de leur rechercher une origine romaine et même grecque. Le cheik nous attendait sur le pas de sa porte. C’est un homme d’un âge mûr, de haute taille, maigre et brun. Il nous fait entrer chez lui et nous invite à nous asseoir à terre sur des tapis, dans une vaste pièce au plafond élevé et soutenu par d’énormes piliers couverts de peintures dans le genre étrusque. Nous aurions pu, l’imagination aidant, nous croire dans une ancienne demeure égyptienne. Des niches pratiquées dans les parois du mur, à une certaine hauteur, sont garnies de tapis et doivent probablement servir de lits. A peine étions-nous entrés que les deux filles du cheik arrivent, portant sur leurs bras des plateaux couverts de tranches de pastèques et de grenades coupées en morceaux. Elles déposent ces fruits à terre devant nous, puis elles embrassent les dames sans montrer le moindre embarras. Elles s’asseyent ensuite à côté de nous et nous éventent en nous regardant d’un air réjoui. Elles sont petites, brunes et n’ont rien de remarquable dans les traits ; la plus jolie des deux, qui est mariée, sort un moment pour aller chercher son petit enfant, qu’elle allaite en découvrant sa poitrine, sans se soucier le moins du monde d’être vue par les hommes qui sont devant