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en face de l’entrée, nos yeux sont attirés par un spectacle nouveau. Un grand cadre de bois est posé perpendiculairement, il forme comme une cloison dans le fond de la chambre. Des fils de laine y soit tendus serrés dans le sens de la longueur ; derrière ces fils, nous apercevons vaguement une jeune fille qui nous paraît jolie et coiffée, autant qu’il nous est donné de le distinguer, d’un turban blanc orné de bijoux ; il est facile de voir qu’elle attendait notre visite ; son cou, en partie découvert, est aussi garni d’un collier d’or. Elle est assise à la turque sur un large banc en maçonnerie. Avec ses petites mains chargées de bagues, elle passe délicatement et avec agilité un écheveau de fine soie, en le déroulant à mesure au travers des fils de laine. Un roseau sec et uni lui sert à la fois à séparer les fils placés en longueur et, en le baissant de temps en temps, à égaliser celui qui vient d’être passé en sens opposé. La manœuvre est simple et ingénieuse, l’ouvrage et l’ouvrière poétiques, il y a quelque chose de mystérieux et de provocant dans cette femme aux contours indistincts, vue à travers ce voile, mince comme une toile d’araignée, dont elle épaissit la trame. On croirait contempler une petite divinité disparaissant, peu à peu, derrière un nuage ; mais tout spectacle doit avoir une fin, et nous sommes contraints de songer à regagner notre gîte. En nous éloignant, nous sommes suivis dans le village par un pauvre idiot qui avance en faisant des bonds précipités sur sa béquille et en poussant des cris inarticulés qui expriment sa joie. Une vieille femme, fanatique sans doute, nous fait en passant le geste des griffes du diable, injure bien connue des Arabes. Aux dernières maisons de l’oasis, nous prenons congé du cheik et nous suivons la route que le soleil a abandonnée en descendant derrière les montagnes. Nous passons devant le cimetière, d mt les tombes, placées sans ordre çà et là, sont faites, comme les habitations du sud, avec de la terre séchée. Leur forme est celle des tombeaux antiques, c’est-à-dire des carrés longs de trois pieds environ de hauteur et garnis à chacun des angles d’un semblant d’ornement comme une boule ou un cône. Un assez grand nombre de ces monumens se sont affaissés sous les pluies de l’hiver et les ravages du temps. Nous longeons encore la jolie rivière qui passe au pied de cette muraille naturelle et inaccessible qui s’élève majestueusement des deux côtés de la brèche comme la véritable porte d’un autre pays. C’est bien, en effet, une zone différente. Tous les voyageurs ont été frappés du contraste offert par les deux versans de la chaîne des Aurès. Du côté du sud, la température plus chaude, le ciel plus bleu et les forêts de palmiers d’un vert si riche dont chaque arbre agite complaisamment ses longues feuilles au souffle des brises