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y a eu des périodes plus cruelles, où l’autorité s’est montrée plus odieuse, nous ne croyons pas qu’il y en ait eu aucune où il y ait eu plus de dureté dans le commandement, plus de sécheresse dans les rapports de supérieur à inférieur, plus de tranquille habitude de l’arbitraire, et où la distance entre la partie gouvernante et la partie gouvernée des sociétés ait été mesurée d’une manière plus blessante. C’est par excellence la période des abus de pouvoir aussi bien dans la protestante et constitutionnelle Angleterre que dans la France catholique et monarchique, et, toute républicaine qu’elle fût, la petite Hollande ne resta pas en arrière de ces grands modèles. Le gouvernement colonial du Cap en particulier se distingua par une sévérité dont les effets sont à la fois odieux et grotesques. Par exemple un certain volontaire Vogelaar est condamné à recevoir cent coups du canon de son propre mousquet comme coupable d’avoir souhaité au diable l’économe de la garnison qui leur servait des pingouins en place de porc. Un certain Wouters put se convaincre encore mieux que le précédent coupable que le gouvernement colonial n’avait pas l’humeur rieuse et ne goûtait pas les facétieux. Ce Wouters, s’étant permis de parler légèrement de la femme du commandant et de quelques autres dames de la colonie, fut condamné à avoir la langue percée, à demander pardon à genoux aux personnes offensées et à subir un bannissement de trois années, encore lui fut-il dit que, s’il s’en tirait à si bon marché, c’était en considération de sa femme, qui venait d’ajouter un nouveau membre à la naissante colonie. Nulle proportion entre les délits et les châtimens ; deux hommes ayant volé des choux sont condamnés à être fouettés et à trois années de travaux forcés. Et cette dureté était sans compensation. Nulle liberté de trafic pour les colons, nul souci de leur bien-être, nul appui pour leurs industries. Ceux qui pouvaient produire au delà des besoins de leur consommation personnelle étaient tenus de ne vendre à d’autre acheteur que la Compagnie. L’inhospitalité de ce gouvernement égalait sa dureté. Les étrangers étaient sévèrement exclus de la colonie ou y étaient assujettis à une police intolérable. Défense de venir en aide aux bâtimens des autres nattions qui se présenteraient dans le port pour réparer leurs avaries ou renouveler leurs provisions. Après la révocation de l’édit de Nantes, une bande de trois cents protestans français vint chercher refuge au Cap, mais il leur fallut bientôt apprendre qu’ils devaient payer la liberté de conscience du prix de la liberté du culte extérieur, car moins de vingt ans après leur arrivée ils étaient condamnés à prier dans une autre langue que celle de la mère patrie. Contraint sous cette discipline de fer de pousser jusqu’à l’extrême ses qualités natives de patience et d’endurance le peuple des colons se façonna sur le modèle même qui l’avait élevé, et en reproduisit,