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quelqu’un de ces indiscrets, nés malins, qui se prétendent informés de tout, qui savent non-seulement ce que les gens ont dit, mais ce qu’ils diront, qui connaissent d’avance et les pièces et les discours, et qui se font fort de vous les raconter ? L’un de ces indiscrets nous assurait que M. Renan, qui lui avait fait toutes ses confidences, assaisonnerait sa péroraison de certains aphorismes, de certaines propositions exorbitantes, qu’il lui attribuait fort gratuitement. M. Renan n’a eu garde de dire, comme on lui en prêtait l’intention, que la mesure de la vérité est le degré de talent de celui qui l’exprime ; il n’a pas dit non plus qu’il se félicitait d’être arrivé à l’âge où l’on ne fait plus de sottises, mais où on les comprend toutes. Il a seulement avancé que « le talent qu’inspire une doctrine est à beaucoup d’égards la mesure de sa vérité, » et que « l’âge le plus charmant, le plus propre à la sereine gaîté, est celui où l’on commence à voir, après une jeunesse laborieuse, que tout est vain, mais aussi qu’une foule de choses vaines sont dignes d’être longuement savourées. » L’Académie aurait pu lui répondre avec le poète :

Après des travaux austères,
Dans vos doux délassemens,
Vous célébrez les chimères.
Elles nous sont nécessaires.
Nous sommes de vieux enfans ;
Nos erreurs sont nos lisières,
Et les vanités légères
Nous bercent en cheveux blancs.


M. Mézières l’a pris sur un ton plus grave : « Tout serait-il vanité, a-t-il dit, comme vous venez de nous le faire entendre, excepté l’art de traduire en un beau langage les fantaisies de l’imagination et le don de conquérir la gloire ? » Là-dessus, il en a appelé de M. Renan à M. Renan lui-même, et lui a représenté qu’en mainte rencontre il avait revendiqué les droits de la conscience humaine, loué l’homme de bien qui ne se laisse détourner de son devoir par aucun sophisme, célébré la beauté de la vertu qui, tentée par le prestige du génie, lui résiste au nom d’un principe supérieur. Cette fois, Caton eût applaudi. C’est ainsi que M. Mézières a relevé, censuré doucement certaines hérésies du récipiendaire. M. Renan est l’homme du monde qui supporte le mieux la contradiction ; personne ne la prend en meilleure part, ne lui fait meilleur visage ; sa bonne grâce triomphe de tout. Il en userait volontiers comme ce roi d’Angleterre qui disait à l’un de ses courtisans : « Tâchez de me contredire de temps à autre, afin que nous soyons deux. » On était deux au Palais-Mazarin dans cette séance du 3 avril, qui fait grand honneur à l’Académie française.


G. VALBERT.