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renaître encore à chaque pas au retour des chambres ? C’est là justement la question qui reste en suspens, qui serait à coup sûr d’avance résolue si en toute sincérité on n’écoutait que cet instinct de paix et de travail qui anime visiblement la masse du pays.

On aurait beau se faire de complaisantes illusions et le gouvernement lui-même aurait beau se prêter plus ou moins volontairement à ces illusions, c’est là aujourd’hui la grave question qui se débat, qui reste l’énigme, le péril de la situation. Il s’agit de savoir quelle direction prévaudra dans les affaires de la France, si on s’arrêtera sur cette route scabreuse qu’on parcourt à pas pressés depuis trois mois ou si on se laissera entraîner jusqu’au bout sous l’aiguillon de l’esprit de parti. Il n’y a que peu de jours encore, dans un banquet offert par les nouveaux maires de Paris à quelques-uns des représentans du gouvernement, M. le ministre de l’intérieur disait : « La constitution n’est pas parfaite sans doute ; mais il ne faut pas oublier qu’elle nous a rendu un grand service : c’est elle qui a fondé la république. Il existe des hommes qui, profondément dévoués aux institutions républicaines, craignent de toucher à ce qui a donné naissance à ces mêmes institutions. » M. le ministre de l’intérieur parlait d’or, quoiqu’il ait montré un peu d’humilité et qu’il ait eu un peu l’air de plaider les circonstances atténuantes. La vérité est effectivement que la république n’a été possible que par cette constitution dont elle a reçu son caractère, son esprit, son titre légal d’existence. C’est parce qu’elle est apparue sous cette forme d’un régime de modération entouré de garanties libérales et conservatrices que la république a rallié des suffrages qui lui auraient manqué sans cela, de telle sorte que la constitution de 1875 peut être considérée réellement comme un traité entre des opinions diverses concourant à une œuvre de transaction. Or quel est le sens de tous ces incidens, de ces agitations, de ces péripéties qui se succèdent depuis trois mois ? Il est évident que par une série de déviations et d’entreprises on tend de plus en plus à sortir du traité qui a fondé le régime nouveau, de la république constitutionnelle de tout le monde, pour entrer dans ce qu’on appelle la république des républicains. On s’engage dans cette voie où la préoccupation essentielle paraît être d’épurer, d’exclure, de tout remuer, de tout ébranler, et où la moindre dissidence, le moindre avertissement devient une cause d’excommunication. Après le centre droit » dont il n’est plus question depuis longtemps bien entendu, le centre gauche lui-même est suspect ; on n’a plus besoin de lui, on le croit du moins. On lui propose galamment, à lui aussi, l’alternative de se soumettre ou de se démettre, et M. Laboulaye, qui se croyait un des fondateurs de la république, M. Laboulaye, pour avoir osé se prononcer en toute indépendance sur le retour à Paris, a été traité comme un vulgaire fauteur de réaction. On l’a renvoyé au centre droit, à l’empire ou au cléricalisme ! La vraie politique républicaine consista à se garder des