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la victoire de l’Ourthe qui rejeta l’ennemi dans Maestricht. Le passage de la Roer fut forcé après une affaire assez chaude, et l’armée tout entière, sauf quinze mille hommes occupés à l’investissement de Maestricht, marcha sur le Rhin et s’empara de Dusseldorf. Après onze jours de tranchée, Kléber prit Maestricht où il trouva trois cent cinquante et une bouches à feu, quatre cents milliers de poudre, vingt mille fusils et des provisions de toute sorte. Après cet exploit, il fut envoyé en observation sur le Rhin, où il mit tous ses soins à instruire et à fortifier son armée, composée en grande partie de recrues. Ses ordres sont des modèles de précision et de clarté qui montrent que ce grand esprit ne croyait pas au-dessous de lui de s’occuper de tous les détails pouvant contribuer au succès des opérations.

Au moment où Kléber s’apprêtait ainsi à prendre ses quartiers d’hiver, le comité de salut public, qui savait que la meilleure part des succès de l’armée de Sambre-et-Meuse lui revenait, l’envoya à l’armée du Rhin prendre le commandement des divisions chargées du siège de Mayence. Kléber fut péniblement affecté de ce changement qu’il n’avait pas sollicité ; mais il obéit sans récriminer.


« La vie extraordinairement active que j’avais menée, dit-il, depuis le commencement de la guerre, avait altéré ma santé, et, l’armée de Sambre-et-Meuse étant sur le point de prendre ses quartiers d’hiver, je crus pouvoir demander au gouvernement un congé de deux mois pour me rétablir, mais au lieu de ce congé je reçus du représentant Gillet l’ordre de me rendre sur-le-champ à l’armée du Rhin. Ce coup inattendu me fut sensible. D’un côté je quittais une armée qui venait de se couvrir de gloire, un chef qui était à la fois mon ami et mon maître, et des camarades dont la bonne harmonie ne pouvait faire rêver que des succès ; de l’autre j’entrevoyais d’avance que je serais chargé d’une expédition que le concours des saisons rendait impossible et même absurde. »


Il écrit en même temps à Jourdan :


« Il faudrait, cher camarade, que tu connusses toute l’estime et le sincère attachement que je t’ai voués, pour comprendre la peine que j’ai ressentie en recevant l’ordre de quitter l’armée victorieuse que tu commandes. Pourquoi te le dissimulerais-je ? j’en ai pleuré comme un enfant. Le tribut payé à l’amitié et à la sensibilité de mon âme, que des gens sans entrailles appelleraient faiblesse, j’en ai sans doute dû prendre mon parti et je pars après-demain.

« Je te demande deux faveurs : la première de m’accorder la permission d’emmener Ney avec moi, jusqu’au rétablissement de Bucquet ; la seconde d’apostiller le mémoire que j’envoie à Gillet relativement à