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communautés à titre de communautés. Les congrégations n’existent pas à ce titre, elles ne sont pas reconnues, elles n’ont ni exemptions, ni immunités particulières, elles rentrent dans les conditions communes de la vie légale. Il s’agit de simples citoyens, qui dans leurs maisons peuvent s’appeler des dominicains, des oratoriens ou des jésuites, mais qui aux yeux de l’état ne sont plus que de simples citoyens, menacés aujourd’hui d’être atteints par la loi de M. Jules Ferry dans l’intégrité de leurs droits. La qualité de Français se perd dans certaines circonstances et pour certaines causes : si ces hommes se sont placés dans ces circonstances, qu’ils soient exclus, rien de plus simple. La perte de la qualité de Français est également attachée à certaines peines prononcées par les tribunaux criminels : si des membres des congrégations ont encouru ces peines, ils ont perdu leur titre, c’est encore de toute évidence et de toute justice. Ce n’est pas tout; le droit d’enseigner est soumis à certaines conditions définies de capacité et de moralité : si les membres des communautés religieuses ne remplissent pas ces conditions, on peut les écarter sans difficulté, tout cela est clair. Enfin, l’état a un droit de surveillance sur toutes les maisons religieuses ou laïques; si quelqu’un prétend se soustraire à cette juridiction on peut le ramener au devoir; l’état n’a qu’à exercer sérieusement son droit, et M. Jules Ferry amuse à peu de frais son public en lui racontant l’histoire d’un inspecteur dupé par un jésuite : il fait le procès de son inspecteur; voilà tout!

En un mot c’est une situation nette et simple qui a ses limites, ses sanctions et sa protection dans la loi, dont les garanties comme les obligations sont pour tous indistinctement. Hors de là que prétend-on? Sur quoi peut-on se fonder pour appliquer des peines exceptionnelles, des mesures exceptionnelles à ceux qui n’ont commis aucun crime et qui ne réclament aucun privilège exceptionnel ? — Mais ce sont, dit-on, des ennemis : ils ne sont peut-être pas républicains, ce sont des adversaires de la société moderne; on ne peut pas leur laisser de « prétendues libertés qui mettent en péril l’unité nationale... » Ceci est étrange. Quelle idée M. le ministre de l’instruction publique se fait-il donc de la liberté pour se croire le droit de la mesurer selon les opinions présumées? Est-ce que ce n’est pas l’essence de la liberté d’appartenir à tout le monde, même à des ennemis? M. Jules Ferry ne s’aperçoit pas qu’il suit un singulier exemple. Il a un modèle tout trouvé, c’est M. de Persigny, ministre de l’empire, qui, lui aussi, était un grand libéral, qui voulait « la liberté dans l’unité, » — à la condition qu’on fût de son opinion, — mais qui « excluait ceux qui ne cherchent à pénétrer au cœur de nos institutions que pour en vicier le principe et n’invoquent la liberté que pour la tourner contre l’état. » Le langage est le même. C’est une étrange manière d’accréditer la république que de la représenter comme l’héritière du libéralisme de l’empire. Il est plus