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reprochés au jury russe proviennent de ce premier vice. La formation des listes est souvent défectueuse. Les commissions chargées de ce soin en prennent à leur aise, elles se font accuser de négligence, d’arbitraire, de partialité ; on prétend que d’ordinaire la liste des jurés est dressée dans le bureau du maréchal de la noblesse du district. Quand elles apporteraient à cette tâche tous les soins du monde, les commissions des zemstvos resteraient singulièrement embarrassées devant la quantité de noms, pour la plupart inconnus, qu’elles ont à examiner, et la quantité de personnes que la loi les oblige à porter sur leurs listes. Dans chacune des deux capitales, il faut inscrire chaque année sur les rôles définitifs douze cents noms, dans les districts ayant plus de cent mille âmes quatre cents, dans les autres deux cents. Si l’on songe que la plupart de ces districts sont aussi grands que nos départemens et que beaucoup sont aussi peuplés, on se rendra compte de la difficulté de tels choix[1]. Dans la pratique, les précautions de ce triage officiel semblent si peu efficaces qu’on se demande s’il ne vaudrait pas mieux y renoncer et se contenter simplement des listes générales en laissant au ministère public d’un côté, de l’autre à la défense, le droit de récuser chacun un certain nombre de jurés[2]. Ce serait là, semble-t-il, une garantie moins illusoire que celle de l’examen d’une commission spéciale[3].

Le cens et la fortune ne sont point le seul titre à figurer sur les listes générales du jury; les premiers à être portés sur les rôles sont les serviteurs de l’état en dehors de l’armée, du clergé, de la magistrature et de la police, en dehors de tous les tchinovniks des cinq premières classes que leur rang affranchit de cette charge. Il y a plus; l’accès du jury est également ouvert à toutes les fonctions électives locales, et spécialement aux élus des paysans, tels que les juges de bailliage, les anciens de commune ou de village

  1. Si, comme notre arrondissement, le district était pour les élections provinciales subdivisé en plusieurs cantons, on pourrait confier la désignation des jurés au représentant de chaque canton, ainsi que cela se passe d’ordinaire chez nous pour nos conseillers généraux, mais cette subdivision n’existe point, et l’on peut trouver des inconvéniens à laisser à un seul individu le choix des hommes qui doivent décider de la liberté ou de la vie de leurs concitoyens.
  2. Ce droit de récusation existe déjà aujourd’hui pour la défense comme pour l’accusation, et s’étend, croyons-nous, à six membres du jury.
  3. Les commissions d’examen des listes sont nommées par les zemstvos et sont toujours prises dans leur sein; elles fonctionnent avec la participation d’un juge de paix. L’article 103 de la loi veut qu’on indique quelles sont les personnes étrangères à l’église orthodoxe. Ces listes sont du reste rédigées avec tant de négligence que plus d’une fois il s’est rencontré parmi les jures désignés au sort des hommes ayant subi des condamnations judiciaires, des vieillards ayant dépassé l’âge légal, ou des colons d’origine étrangère ne comprenant pas le russe.