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se dissoudre, et visaient droit au cœur de la civilisation. L’idée de se séparer de la France, de lui arracher sa capitale pour en faire le centre d’une jacquerie nouvelle, les domine et les obsède. Le 3 mars, au comité de la rue de la Corderie, on mit à l’étude un projet qui bientôt allait cesser d’être théorique : « Dans le cas où, comme certains bruits tendent à le faire croire, le siège du gouvernement viendrait à être transporté ailleurs qu’à Paris, la ville de Paris devrait immédiatement se constituer en république indépendante. » Ceci se passait au lendemain de l’entrée des Allemands dans Paris, et cette entrée, on s’en souvient, avait servi de prétexte à la fédération d’une partie de la garde nationale sous des chefs désignés par elle, au mépris des élections précédentes et de l’autorité des officiers réguliers, auxquels elle n’obéissait plus. Tous les bataillons réunis dans l’intention mensongère de s’opposer à l’entrée des Prussiens dans le quartier des Champs-Élysées ne s’opposèrent à rien, ainsi que je l’ai déjà raconté, mais restèrent debout et prêts, dans l’espoir qu’une éventualité favorable leur permettrait de s’emparer du pouvoir, qu’ils avaient vainement attaqué le 31 octobre 1870 et le 22 janvier 1871. On prenait ses précautions afin de profiter de toute occurrence ; quelques conspirateurs plus hardis ou plus ambitieux que les autres se dévoilaient brutalement et jouissaient d’une impunité qui servait d’encouragement aux plus timides. Le 9 mars, le XIIIe arrondissement établit un secteur révolutionnaire en face du IXe secteur régulier et lui donna pour chef Émile Duval, dont le père avait été en juin 1848 l’un des assassins du général de Bréa : noblesse oblige.

M. Thiers, contre l’avis des officiers généraux, contre l’opinion du chef de la police municipale consulté, se décida à brusquer l’aventure en se jetant inopinément sur Montmartre et sur Belleville. Si c’était trop tôt ou trop tard, je l’ignore ; mais ce fut inopportun, car l’on échoua. Le mobile qui dirigea M. Thiers a une grande valeur et doit être expliqué. Aux observations très fortes et pressantes qui lui furent adressées, il répondit en substance : « Nos troupes sont insuffisantes, démoralisées, sans cohésion et sans discipline, je le sais ; c’est pourquoi il faut user de surprise. Si nous sommes repoussés, si les canons restent aux mains de l’émeute, si même nous sommes forcés d’évacuer Paris, ce sera un malheur transitoire, auquel il nous sera facile de remédier, car en somme nous aurons été vaincus parce que nous n’avons pas de troupes. Faut-il pour attaquer les repaires de la révolte attendre que nos soldats prisonniers en Allemagne soient revenus et que j’aie pu reconstituer une armée ? Cela est bien tentant, j’en conviens, mais cela offre un danger redoutable auquel je ne me soucie pas d’exposer le pays. En effet, si l’armée à peu près refaite est battue