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annihilé. Les anciennes commissions deviennent commissions de surveillance et peuvent à toute heure vérifier les actes du délégué. Elles en font chaque jour un rapport à la commune. De plus une commission supérieure de contrôle doit examiner les actes de la commission des délégués et en rendre compte à la commune. Ainsi chaque commission surveille son délégué spécial; elle correspond avec une commission générale qui surveille la commission des délégués et communique avec l’assemblée communale. Ce système paraît si excellent que le chapelier Amouroux ne peut retenir une exclamation : « On ne décrète pas le droit, on l’applique ! » On croit ainsi établir une série de contrôles et l’on ne réussit à créer qu’une confusion d’autorités qui se contrecarrent et constituent une diversité de despotismes tracassiers, jaloux les uns des autres, dénonciateurs et méchans. C’est de ce moment que les haines éclatent au sein de la commune, que les partis se divisent et que l’on se menace mutuellement de se « coller au mur. » Il faut voir comment ils se traitent entre eux; jamais catéchisme poissard ne fournit de telles épithètes : Félix Pyat attaque Vermorel et lui reproche d’avoir été un agent secret de Napoléon III ; Vermorel riposte; il dit crûment à Pyat qu’il n’est qu’un lâche et que tout son mérite consiste à avoir fait à Londres du régicide en chambre. Vermesch juge les coups, gourmande les deux adversaires dans le Père Duchêne et leur dit proprement : « Vous tombez dans la mélasse. » Il vomit sur tout le monde, ce Vermesch. Lefrançais perd patience et l’invite à venir avec lui faire un tour aux avant-postes du côté de la porte Maillot; Vermesch n’a garde de répondre à cette proposition, qui ne convenait point à ses habitudes sédentaires; Lefrançais triomphe et accable d’injures Vermesch, qui ne s’en soucie guère. Vésinier et Rochefort se prennent aux cheveux et se crachent quelques vérités au visage. Vésinier perd la tête sous les coups de fouet de son interlocuteur et, ne sachant plus que dire, il ramasse l’insulte familière aux gens de son espèce. Il a la niaiserie d’accuser Rochefort d’avoir, sous l’empire, émargé à la préfecture de police. C’était ne pas mettre les rieurs de son côté. Rochefort s’en tira avec esprit, ce qui lui était facile : « Qui donc, dit-il, a pu révéler au gracieux Vésinier ce terrible secret que je croyais si bien gardé ? Moi qui n’ai fait paraître la Lanterne que pour détourner les soupçons. » Tous ces héros de barricades sont du reste coutumiers de telles polémiques. Qui ne se souvient de la façon dont Rochefort a houspillé Millière dans les derniers mois du second empire? A propos d’une souscription peu importante, mais que l’on ne retrouvait pas, Rochefort écrivait à Millière, dans la Marseillaise du 12 juillet 1870 : « J’apprends à l’instant votre refus de rendre l’argent déposé en votre nom. Ceci clôt toute discussion. Vous êtes un lâche et un voleur,