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et transformer ces vaincus en alliés. Conon apprend la chute de Méthymne au mouillage des Cent-Iles. Tel était le nom que portait dans l’antiquité ce groupe des Mosco-Nisi derrière lequel s’abrita, en 1849, l’escadre de l’amiral Parseval battue des longues tempêtes d’un rigoureux hiver. Ce mouillage a cessé d’être sûr pour Conon depuis que Callicratidas a recouvré la libre disposition de ses forces; Conon se hâte de le quitter. Ce n’est plus d’ailleurs Méthymne, c’est Mytilène qu’il s’agit maintenant de défendre. La flotte athénienne redescend le canal qu’elle a remonté la veille; elle a commencé son mouvement dès le point du jour. Par malheur, ce mouvement n’a pas échappé aux Péloponésiens; Callicratidas poursuit son adversaire avec une flotte de cent soixante-dix navires. Conon reconnaît que la retraite va lui être coupée, son parti est pris à l’instant : il ira au-devant du combat qu’il lui serait difficile d’éviter. Suivons avec attention les manœuvres des deux flottes ; des vaisseaux cuirassés, pour se joindre et pour accomplir leurs passes, ne s’y prendraient pas autrement. Le pavillon de pourpre, ce pavillon, emblème du sang qu’on s’apprête à verser; ce pavillon rouge qui, de siècle en siècle, est demeuré le signal du combat, se déploie tout à coup sur la trière que monte le navarque d’Athènes. Conon vient de le faire arborer en tête de mât. Quand les mâts étaient abattus, ou quand il faisait calme, ce n’était plus un pavillon qu’on déployait; au bout d’une pique on élevait en l’air un bouclier. A peine l’étamine a-t-elle livré ses derniers plis à la brise que toute la flotte athénienne tourne brusquement, tourne à la fois sur elle-même; les troupes entonnent le péan, les trompettes sonnent la charge. Les Péloponésiens n’ont pas eu le temps de se ranger en bataille, leur armée est encore partagée en deux divisions, les meilleurs marcheurs en avant, le gros de la flotte derrière. Tel est l’inconvénient, le danger même, de toute chasse à outrance; il faut rompre sa ligne pour gagner l’ennemi, et l’ennemi aux abois peut se retourner. Conon, avec toutes ses forces, tombe au milieu de vaisseaux épars, il brise les rames des uns, perce le flanc des autres, porte partout l’effroi et, dans cette armée déjà si confuse, augmente la confusion. Les navires surpris, heureusement pour eux, n’ont pas eu la faiblesse de virer de bord, ils reculent, mais la proue en avant; ce sont leurs poupes maintenant qui fendent l’onde. Bientôt leurs rangs se mêlent à ceux des navires arriérés qui accourent; le front de bataille est rétabli. Ainsi furent reçus, au champ de bataille de l’Alma, dans les intervalles de la seconde ligne anglaise, les soldats du général Brown fuyant sous l’impression d’une panique passagère. Conon voit les deux longs bras de cette flotte immense s’étendre autour de lui, déborder ses ailes, se développer en cercle pour