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L’Auster est le maître inquiet de l’Adriatique; l’Aquilon a été de tout temps le tyran impérieux de l’archipel grec. Ses premiers coups sont irrésistibles. « Dieu vous préserve, disent encore aujourd’hui les pilotes de Milo, du jeune Nord et du vieux Sud! » Si les devins, le jour où Callicratidas marchait avec tant d’assurance à l’ennemi, avaient trouvé leurs volailles nerveuses, le sang des victimes écumeux, s’ils avaient remarqué l’effarement des goélands et des mouettes, n’étaient-ils pas jusqu’à un certain point en droit de prévoir une bourrasque? Leur devoir ne consistait-il pas alors à retenir plutôt qu’à exciter les combattans? Callicratidas passa outre. « Ce ne sera point, dit-il, un grand malheur pour Sparte, si je dois succomber dans ce combat; ce serait une honte pour elle si sa flotte paraissait éviter les Athéniens. » Sous un soleil redevenu radieux, les vaisseaux du Péloponèse continuent intrépidement leur route. L’aile droite, c’est Callicratidas en personne qui la commande, l’aile gauche est sous les ordres d’un Thébain, Thrasondas. Ces deux hoplites vont avoir affaire à de vieux marins. Les Athéniens ont dix généraux; pour le jour de l’action, ils n’ont qu’un général en chef. Thrasylle se trouve investi ce jour-là du commandement suprême. Ses dispositions sont loin de manquer d’habileté. Il connaît l’impétuosité et l’inexpérience de son adversaire ; tout lui conseille donc de rester sur la défensive, d’épier les fautes de l’ennemi et de se tenir prêt à en profiter. Pour obliger Callicratidas à diviser ses forces, le navarque d’Athènes étend démesurément son front de bataille ; il y comprend même les îles Arginuses. Garni de soldats, le rivage de ce groupe tient lieu à Thrasylle d’une troisième escadre. Les Péloponésiens ne sauraient songer sans la plus extrême imprudence à laisser une des ailes athéniennes inoccupée; il leur faut se résigner à livrer deux combats distincts, l’un au nord des Arginuses, l’autre au sud. Leur plus grand désavantage est de ne pouvoir dériver, en cas d’avarie, que vers un rivage fortement occupé par les Athéniens.

Lorsque trois cents trières et soixante mille hommes vont être aux prises, il doit y avoir conseil sur l’Olympe. Mais les dieux en ce jour peuvent-ils se partager? Ne reçoivent-ils pas d’Athènes et de Sparte les mêmes adorations, le même culte? Épargnez vos victimes! La fumée du sacrifice ne montera pas au séjour immortel; les dieux se détourneraient de cet hommage fratricide avec dégoût. Ainsi donc trente mille Péloponésiens se préparent à livrer bataille à trente mille Athéniens, en vue des côtes de l’Asie. Sarpédon et Hector en auront tressailli dans leurs tombes. C’est le plus grand combat dans lequel des Grecs aient été opposés à des Grecs; ce fut aussi le suprême effort tenté par Athènes pour ressaisir l’ascendant qui lui échappait. Thrasylle compte avant tout sur la force de sa position;