les enduisait de matières grasses. Aussi le vieux Canale, le provéditeur de Venise, se présentera-t-il au combat de Lépante chaussé d’espadrilles. Collingwood à Trafalgar mit des escarpins, mais ce ne fut pas pour prévenir une chute. Il pensa que si quelque projectile ou quelque éclat de bois le blessait à la jambe, il serait bon que le chirurgien n’eût pas de bottes à lui ôter. Quand le chef disparaît aussi soudainement, les soldats ont bientôt perdu courage. La capitane de Sparte cède à l’ennemi. Plus de direction ; chacun combat maintenant pour son compte. L’aile droite des Péloponésiens fléchit, l’aile gauche, où les Béotiens commandent, se trouble et prend la fuite. Les Athéniens ont cependant perdu vingt-cinq vaisseaux. Si Callicratidas eût vécu, l’issue du combat fût demeurée plus longtemps douteuse ; Callicratidas emporte avec lui la fortune de la journée, la déroute de la flotte du Péloponèse est bientôt sans remède. Une partie des vaisseaux va chercher un refuge à Chio ; les autres s’arrêtent à Phocée. Les Athéniens ont pris soixante-neuf navires, neuf trières de Lacédémone, soixante trières fournies par les alliés.
Il ne suffit pas de vaincre ; l’essentiel est de savoir tirer parti de sa victoire. Conon n’était pas encore débloqué ; un des lieutenans de Callicratidas., Étéonicus, le gardait à vue avec cinquante trières. Ces cinquante trières sont une belle proie qu’il y aurait regret à laisser échapper. Traversera-t-on sur-le-champ le canal ? Après une grande bataille, il ne reste guère au vainqueur que des vaisseaux délabrés. Les généraux athéniens observent avec inquiétude le ciel qui se charge, le flot qui se gonfle ; les pressentimens des devins ne les ont pas trompés. On se rappelle involontairement ici le soir de Trafalgar et les dernières paroles de Nelson mourant : « Faites mouiller la flotte ! » Les stratèges de la république ont une double tâche à remplir : la plus pressante et la plus sacrée consiste à recueillir les naufragés sur les épaves flottantes, les blessés et les morts à la côte. Ce sera le devoir de Théramène et de Thrasybule. On leur confie, pour qu’ils aillent sans délai s’acquitter d’une mission qui n’admet pas de retard, quarante-sept trières, les moins maltraitées de la flotte. Cela fait, les stratèges rassemblent tout ce qui a des rames, tout ce qui peut naviguer encore. Ils parviennent ainsi à composer une escadre assez forte pour couper la retraite à Étéonicus. D’ailleurs Conon est là et l’on a le droit de compter, au moment voulu, sur son concours. En route ! Il n’est plus temps, la tempête sournoise s’est déclarée tout à coup. Le vent du nord, le vent de l’Hellespont, balaie avec sa furie accoutumée le canal. Regagnez la plage au plus vite, si les îles Arginuses ont une plage ! Cherchez du moins quelque anfractuosité sur la côte pour vous y cacher !