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réduit pour longtemps à la défensive! Vainqueur, quand il avait fallu recourir aux dernières ressources ! Si jamais généraux ont mérité des couronnes, ce sont assurément les généraux qui viennent de combattre aux Arginuses. Des couronnes, allons donc ! ce sont des supplices qu’on leur apprête. Une étrange rumeur s’est répandue dans l’armée de Samos : le peuple n’est pas satisfait. Bientôt on apprend que tous les généraux ont été déposés, à l’exception de Conon, d’Adimante et de Philoclès, les deux lieutenans de Conon. Les huit autres, — Conon le navarque ne comptait pas, et Adimante ou Philoclès avait probablement remplacé Archestrate, — les huit autres sont appelés à comparaître devant l’assemblée d’Athènes. Que peut-on reprocher, grands dieux ! à ces généreux champions ? D’avoir sauvé une escadre condamnée à périr de famine, d’avoir humilié Sparte, d’avoir délivré Mytilène ? On leur reproche de n’avoir pas recueilli les naufragés et de n’avoir pas rendu les honneurs funèbres aux morts. Deux des stratèges, Protomachus et Aristogène, ne jugent pas prudent de répondre à la sommation qui leur est adressée; ils cherchent un asile sur les côtes de l’Ionie. Périclès, Diomédon, Lysias échappé lui-même miraculeusement au naufrage, Aristocrates, Thrasylle, Érasinidès, tous également confians dans la bonté de leur cause, se présentent sans crainte à leurs juges. « Avoir oublié les naufragés et les morts! Peut-on leur imputer semblable négligence? A quel soin furent donc commis, dès que la bataille put être considérée comme gagnée, les deux triérarques les plus capables de la flotte, Théramène et Thrasybule, deux capitaines qui avaient mainte fois rempli les fonctions de stratège? On leur donna quarante-sept trières et on leur enjoignit de ne s’occuper que d’une chose : visiter les plages et les épaves éparses pour y porter secours à ceux qui vivaient encore, pour y rendre les derniers devoirs à ceux qui étaient morts en servant la république. » Nul dans Athènes n’ignore ces détails; les généraux, le jour même où ils annonçaient leur victoire, en faisaient part au peuple, car le peuple ne veut et ne doit rien ignorer. C’est pourtant de cette assertion si simple et si sincère qu’est venu tout le mal. Théramène et Thrasybule ont cru que les stratèges voulaient se décharger sur eux de la grave responsabilité qui leur incombe. Ils se sont hâtés de prendre les devans, d’ameuter leurs amis, et ce n’est plus seulement au sein d’une foule ignorante que l’accusation recrute ses partisans; de la flotte même vont surgir les dépositions les plus accablantes. C’est l’histoire du comte De Grasse livré par ses capitaines, après le combat de la Dominique, aux plus sanglantes railleries des Parisiens. Pendant que les Anglais rendaient un juste hommage à la magnifique défense du héros malheureux, pendant que les États-Unis l’honoraient