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L’ÎLE DE CYPRE.

l’une de ces figures, l’archéologue n’hésitera guère, même sans enquête préalable, à en deviner, à en signaler la provenance. Un premier caractère commun, c’est la matière employée, un calcaire tendre, d’un grain homogène et assez fin, qui se trouve en abondance dans les montagnes de l’île.

Cypre n’a pas une seule carrière de marbre ; aussi les monumens de marbre y sont-ils fort rares. Ceux que l’on y a recueillis, en très petit nombre, doivent être pour la plupart d’importation étrangère ; ils appartiennent aux temps où commençait à s’effacer l’originalité de la civilisation cypriote, et ne se rattachent ni par le sujet ni par le style aux traditions de la religion locale et aux procédés des sculpteurs indigènes. Ceux-ci, depuis les temps les plus anciens jusqu’aux derniers jours du monde antique, n’ont guère taillé que cette roche friable, qu’ils avaient partout sous la main. Cette pierre est blanchâtre au sortir de la carrière ; mais elle prend, par une longue exposition à l’air, un ton d’un gris jaune qui, tout en demeurant un peu terne, n’est pas désagréable à l’œil. L’ongle la raie ; le ciseau l’entame donc avec bien plus d’aisance et de rapidité que le marbre ; mais dans le domaine de la plastique comme dans celui des lettres et de la poésie, ce qui n’a pas coûté grand’peine n’a guère chance de durer. Ce tuf poreux est trop mou pour fournir les effets et les contrastes que le marbre donne comme de lui-même ; il ne saurait recevoir ce beau poli qui s’oppose si bien aux ombres noires des parties fouillées par le ciseau. Celui-ci, malgré ses recherches et son application laborieuse, ne saurait mettre ici ces accens vigoureux et francs qui dessinent la charpente osseuse, qui font saillir les muscles et les veines sous l’épiderme des statues grecques. Le travail est tout à la fois minutieux et lâché ; il manque de largeur et de fermeté. D’ailleurs la pierre, trop peu résistante, le conserve mal ; ce que l’on a pu y mettre de finesses et de touches un peu vives, elle le perd aisément par les intempéries, et par le frottement. Quelques-unes des figures déterrées à Athiénau par M. de Cesnola se sont trouvées dans des conditions toutes particulières ; de l’abri d’un temple couvert, elles ont passé sans transition à celui d’une couche protectrice de poussière durcie et partout adhérente à leur surface ; comme la statue connue sous le nom de Prêtre à la colombe, elles ont ainsi gardé une rare fraîcheur et sont encore à fleur de ciseau. Sauf ces exceptions, les figures cypriotes ont leurs arêtes arrondies et leurs saillies atténuées. Voyez cette curieuse suite de têtes, provenant surtout des fouilles de M. de Vogüé, que possède le Musée du Louvre ; presque toutes présentent la même apparence d’usure et de fatigue. C’est un peu l’aspect d’une page d’écriture où l’encre, avant d’avoir eu le temps de sécher en con-