un plus grand rôle et qui, par ces moyens, agit plus fortement sur la sensibilité. C’est ce dont témoigne toute l’histoire religieuse de l’antiquité, et particulièrement celle des Juifs, des Perses, des Grecs et des populations italiques.
La Perse ancienne fournit un exemple curieux entre tous de cette action presque irrésistible. Le maintien, dans toute sa pureté, du culte spiritualiste d’Ahura-Mazda, le seul dieu que connaissent dans leurs monumens Darius et Xerxès, est affaire d’état dans la monarchie des Achéménides, et pourtant il suffit de la durée de deux ou trois règnes pour que les Perses empruntent aux Sémites leurs voisins le culte de la déesse Anahit ; déjà, comme l’atteste Bérose, Artaxerxès Mnémon lui fait une place dans la religion officielle et lui élève des autels[1]. Nous assistons là, dans les temps historiques, à un phénomène qui dut se produire bien souvent, dans une période antérieure, alors qu’il n’y avait pas d’historien pour le noter au moment même où il s’accomplissait ; cet emprunt fait par le monde aryen au monde sémitique s’est répété bien des fois et sous bien des formes.
Les Grecs n’ont pas été, comme les Perses, les voisins immédiats des Assyriens et des Babyloniens ; c’est par l’intermédiaire d’autres peuples que sont parvenus jusqu’à eux les fruits de la civilisation des grands états sémitiques. Ces relations à distance ont suivi une double route, la voie de mer et la voie de terre. Par la voie de mer, ce sont les Phéniciens qui ont servi d’intermédiaires. La divinité féminine, qui se retrouve partout où ont abordé les navires des Phéniciens, paraît sous deux formes dans les mythes grecs, tantôt comme une déesse errante, sous les traits changeans d’une Io, d’une Europe, d’une Hélène, d’une Didon, tantôt comme une déesse sédentaire. Les marchands phéniciens ont établi leur déesse à Cypre, le territoire le plus avancé vers l’est où se soit anciennement fixée une population grecque : on sait là les sanctuaires où les Grecs, quand ils sont venus s’établir dans l’île, ont trouvé la déesse syrienne déjà installée à demeure, où leur imagination a été frappée des symboles par lesquels on la représentait et de la puissance qu’on lui attribuait, où ils ont été charmés et séduits par la pompe de ses fêtes orgiaques et de leurs rites voluptueux. C’est sous le nom d’Aphrodite, nom que l’on croit pourtant de provenance aryenne, que la déesse sémitique a passé chez les Grecs de Cypre, et la même influence l’a portée, elle et son culte, plus loin vers l’ouest, à Cythère, tout contre la côte de l’Europe. Dans l’Iliade, Aphrodite est souvent appelée Kypris, dans l’Odyssée et dans les hymnes, Kythereia. Ce sont là des faits incontestés ; les plus jaloux mêmes des
- ↑ Fr. Lenormant, Essai de commentaire des fragmens cosmogoniques de Bérose, p. 154 et suiv.