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donc préparé le terrain aux expositions payantes. Aujourd’hui, au moment même où s’ouvre un Salon plus encombré que jamais, deux expositions d’art contemporain, dues à l’initiative privée, n’ont pas encore fermé leurs portes. L’une est celle d’un Groupe d’Artistes indépendans, dans l’avenue de l’Opéra, l’autre celle de la Société des Aquarellistes français, dans la rue Laffitte. Bien qu’elles soient organisées sans grand luxe, le public qui les visite est assez nombreux pour prouver aux artistes que le temps de leur libération est venu, s’ils y apportent quelque résolution.

Le succès, cela va de soi, ne sera fidèle qu’à ceux qui le méritent. On peut douter que le groupe dit « des indépendans, » s’il ne se fortifie, soit assuré d’une vie longue et prospère, bien qu’il compte déjà quatre ans d’existence. Son exposition, comme autrefois la fameuse exposition des refusés, s’est soutenue par une certaine vogue d’hilarité sur laquelle il serait imprudent de faire fond. Le Parisien aime à rire et comprend la mystification, mais il n’admet pas qu’on rie toujours à ses dépens, il se lasse d’une plaisanterie qui se prolonge. Or les indépendans ont la raillerie lourde et la farce monotone. L’opiniâtreté prétentieuse avec laquelle ils accumulent, devant l’œil effaré du visiteur innocent, des ébauches plus qu’aventureuses et des pochades plus qu’incertaines finit par leur aliéner les quelques sympathies dont ils étaient suivis. Les moins défians se frottent les paupières, commencent à craindre de trouver sous cette abondance de manifestations rudimentaires un fonds solide d’incurable impuissance ou d’incorrigible niaiserie, où s’entremêlent toutes sortes de paradoxes stérilisans, de pernicieuses présomptions et de vanités grotesques.

En réalité, la petite troupe des indépendans n’est qu’un dernier débris du groupe des impressionnistes, lequel n’était lui-même qu’une queue égarée du bataillon des réalistes. Tous ceux qui ont pu troquer leur indépendance contre une place, contre la plus humble place au Salon officiel, ont déserté sans vergogne le drapeau en loques autour duquel on fait serment de haïr le dessin et de mépriser la ligne, de maudire l’école et d’ignorer la tradition, de confondre dans la même horreur la Grèce et l’Italie, l’antiquité et la renaissance. Où sont, hélas ! où sont les impressionnistes d’antan ? Où est M. Renoir, qui exposait naguère dans une brochure spirituelle la théorie de l’impressionnisme ? Au Salon. Où M. Marcelin Desboutin, le graveur vif et mordant, doublé d’un poète hardi et abondant ? Au Salon. Où le grand chef lui-même, l’inventeur et l’apôtre, l’incorruptible M. Manet, qui, nous dit-on, porte, comme les preux, une devise fière et parlante, Manet manebit ? Au Salon. Ces défections, à jamais déplorables, ont réduit le bataillon sacré à quatorze combattans. Encore, parmi ces guerriers, en est-il qui paraissent des alliés de complaisance. Que viennent faire ici, par exemple, M. Bracquemond, le graveur original, dont les caprices poétiques sont