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maçonnerie parisienne, représentée par un nombre infime d’individus, venait de mettre sa main dans leurs mains sanglantes. Le cortège s’en alla faire un petit tour sur la place de la Bastille pour saluer le monument des martyrs de la liberté, puis descendit les boulevards, prit la rue Royale et s’engagea dans les Champs-Elysées.

Si les francs-maçons qui ont cru devoir se mêler à cette manifestation derrière laquelle se cachait une déclaration de guerre adressée au gouvernement légal se sont imaginé qu’ils ont produit une impression sérieuse sur la population de Paris, ils ont eu de grandes illusions. On en a ri, et plus d’un quolibet les a salués au passage. On a parlé de leur nombre ; on a dit qu’ils étaient cinq mille. Ce chiffre est extraordinairement gonflé ; en le réduisant au moins de moitié, on fera encore une large part à l’exagération. Ce n’était point un cortège, comme on l’a dit ; ce n’était même pas une troupe, c’était une cohue. Les gamins les regardaient et disaient : « En voilà des marchands de rubans ! » Les uns étaient à pied, les autres en voiture ; autour des bannières, il y avait cependant quelques groupes compacts. Sur la place de la Concorde et dans les Champs-Elysées, ils trouvèrent une nouvelle foule de curieux qui, marchant dans les contre-allées ou se mêlant à eux sur la chaussée, les escorta jusqu’aux environs de l’Arc-de-Triomphe. Un obus vint éclater à l’entrée de l’avenue d’Eylau ; la panique fut générale, tous les curieux décampèrent et quelques francs-maçons aussi. On eût pu croire que cet obus était un signal, car un combat d’artillerie terrible s’engagea immédiatement. Les batteries françaises de Courbevoie, les batteries fédérées de la porte Maillot et de la porte des Ternes ne ralentissaient pas leur feu. Les pièces voisines se mirent de la partie ; de Montrouge à Saint-Ouen, les fortifications faisaient rage.

La place était un peu chaude. Avec une sage prudence, la manifestation se dirigea vers l’avenue de Friedland et se groupa, loin de tout danger, à la hauteur du n° 59. Le temps s’était gâté. Il tombait une petite pluie fine peu propice aux actes d’héroïsme. Au lieu de s’en aller planter bravement ses bannières sous le feu de l’ennemi et de l’arrêter par la seule « force morale, » ainsi que l’on en avait eu l’intention, on expédia des estafettes aux postes fédérés pour faire cesser le feu et l’on arbora le drapeau parlementaire sur la barricade élevée en avant de l’Arc-de-Triomphe. Le général Leclerc savait à quoi s’en tenir, car le gouvernement de Versailles n’ignorait aucun des projets que l’on devait, ce jour-là, tâcher de mettre à exécution. Sur son ordre, la batterie de Courbevoie se tut. La délégation, composée des vénérables accompagnés des porte-bannières, défila dans l’avenue de la Grande-Armée. Depuis la porte Dauphine jusqu’au delà de la porte Maillot, de cent mètres en