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surtout ce qui a manqué à nos mystères, — qu’ils sont grotesques de la pire façon, c’est-à-dire sans le savoir, — que c’est un sérieux qui veut être touchant et qui fait rire[1]. » Par malheur ils ne jugent pas que des considérans aussi sévères motivent une condamnation. Ils en appellent eux-mêmes de leur propre jugement, et là-dessus de se lamenter que la renaissance païenne soit venue brusquement comme écraser dans l’œuf le drame, le drame national et chrétien, qui ne demandait qu’à naître. Mais il reste permis de croire que les premiers mystères datant du XIIe siècle et les derniers du XVIe, s’il n’en est rien sorti, c’est qu’il n’en pouvait rien sortir. Quand la fortune d’un style et d’un genre a duré quelque quatre cents ans, s’il ne survit de ce genre qu’un souvenir avec un nom dans l’histoire, et pas une œuvre, on peut dire hardiment que ce genre portait en soi quelque germe, non pas de fécondité, mais de corruption et de mort. C’est ici qu’il faut élever plus haut la question. Car parmi toutes les erreurs qui depuis quelques années aspirent à sortir de cette glorification du moyen âge, de cette admiration volontairement aveugle de sa littérature et de son art, si les unes sont moins graves et qu’on puisse après tout s’en remettre au temps d’en faire bonne justice, les autres n’iraient à rien moins, sous prétexte de littérature et d’art, qu’à la falsification de l’histoire, si l’on n’essayait de se mettre en travers de la propagande.


III

Nous ne sommes pas de ceux qui calomnierons le moyen âge. Son histoire est une grande histoire. Il ne nous coûte nullement de convenir que jamais peut-être de plus rares dévoûmens, de plus entiers sacrifices, de plus glorieuses folies enfin n’ont honoré l’homme que d’ans ces mêmes siècles qu’encore aujourd’hui quelques historiens et quelques publicistes voudraient en vain nous représenter comme les âges triomphans de la sottise et de la barbarie. Il n’est pas vrai que la nuit se soit faite subitement dans le monde quand s’effondra l’énorme édifice de l’empire romain. Les hommes du XVIIIe siècle, qui faisaient arme de tout, ont inventé cette légende : ce sera l’honneur de l’érudition contemporaine que de l’avoir mise en morceaux. Il n’est pas vrai que l’homme, après avoir passé près de mille ans dans les ténèbres à se chercher,

  1. J’emprunte ces paroles au petit livre déjà cité sur le Drame chrétien au moyen âge. C’est ainsi que l’on parle en effet dans les livres que l’on destine au grand public, pour le séduire par une apparence de critique et d’impartialité littéraire. Mais ailleurs, dans les livres spéciaux, on continue d’admirer les « splendeurs naïves » du drame gothique et l’on nous invite à admirer « dans notre vieille Gaule, comme dans les riantes campagnes de l’Attique, au temps de Thespis, cette aimable simplicité d’un monde naissant. »