Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 33.djvu/653

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quand d’ailleurs on ne considérerait ni le profit qu’on en tire ainsi, comme par occasion et subsidiairement, pour la connaissance des lois générales du langage ou pour l’histoire des littératures comparées, elle n’est pas seulement utile, on peut dire qu’elle est indispensable à l’étude approfondie de l’histoire nationale même, à la condition pourtant, ici comme toujours, que l’on ne dépasse pas la mesure.

Il est curieux à coup sûr de suivre à travers l’histoire les variations d’un même mot, par exemple, puisque les mots ont leur fortune, et que chaque génération qui passe les marque au coin de ses idées, de ses besoins, de ses passions. Reconnaître et classer toutes les significations d’un mot, les préciser, les distinguer, les rapporter chacune à sa date certaine, c’est véritablement établir la chronologie d’une langue tout de même que la numismatique, en classant ses monnaies, établit la chronologie de l’histoire officielle. Il est bien évident que les monumens de l’histoire littéraire sont la matière même d’une étude et d’une classification de ce genre. Il convient seulement de faire observer qu’étude et classifications ne sont et ne peuvent être véritablement instructives qu’autant que la langue est, comme on dit, fixée. Si nous ne parlons plus la même langue tout à fait qu’au temps de Racine et de Bossuet, il m’intéresse vivement de savoir, dans l’espace de ces deux cents ans, quels changemens ont eu lieu. Le vocabulaire s’est-il enrichi ? s’est-il au contraire appauvri ? par quelles voies ? sous l’influence de quelles causes la syntaxe s’est-elle modifiée ? dans quel sens ? et pourquoi ? Toutes ces questions méritent qu’on les pose et qu’on les discute, parce qu’on est assuré d’avance que les nécessités de la réponse entraîneront l’examen des plus grandes questions historiques. C’est que précisément, une fois fixées, les langues, jusqu’à ce qu’elles périssent, ne se modifient plus qu’à mesure des modifications mêmes de la pensée. Ce n’est plus un principe interne de progrès ou de décadence qui gouverne leur évolution, elles subissent la dépendance, la tyrannie de la société qui les parle et des écrivains qui s’en servent. Mais si la langue au contraire n’est pas encore fixée, de pareilles questions deviennent, je ne veux pas dire oiseuses, du moins bien spéciales et d’un intérêt bien technique.

Il est certain encore que la connaissance de cette littérature du moyen âge rend d’inappréciables services à l’histoire des coutumes et des mœurs. En effet, dans les chansons, fabliaux, ou mystères, les détails de mœurs abondent. On peut dire que sous ce rapport les littératures qui commencent ressemblent aux littératures qui finissent. Les unes et les autres, encore ou désormais inhabiles à l’observation du dedans, s’arrêtent et se complaisent à l’observation