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de n’en point abuser. Au lieu de me borner à compiler des lieux communs, j’essaierai de leur enlever ce caractère en les présentant sous un nouveau jour ; j’essaierai de faire faire à la controverse un pas de plus, si petit qu’il soit. Si j’y réussis, ce sera autant de gagné, et je n’aurai perdu tout à fait ni mon temps, ni ma peine.

J’indiquerai sur-le-champ où j’en veux venir. J’estime :

1° Qu’au fond et en principe, entre les adversaires de la liberté du commerce et ses défenseurs, le dissentiment, dans l’état actuel de la science, n’est pas aussi grand qu’on le croit et qu’ils le croient eux-mêmes ;

2° Qu’à la vérité, ce qui est règle pour les uns, pour les autres est exception, et réciproquement ; mais que, de part et d’autre, la règle est si souple et l’exception tellement élastique, qu’il ne faudrait qu’un peu de logique aidée d’un peu de sincérité pour ménager, dans claqué cas particulier, une transaction amiable ;

3° Que ce qui les tient à distance, c’est avant tout leur vieille animosité, leur méfiance réciproque, et surtout le grand soin que chacun prend d’oublier ou d’éluder, dans l’application, tout ou partie de ce qu’il admet en théorie ;

4° Que les gouvernemens, avertis par le sentiment de la responsabilité et par cet instinct d’équilibre qui ne leur permet de verser entièrement d’aucun côté, tout en professant, d’ordinaire et non sans motif, le système protecteur, sont néanmoins infiniment plus sensés dans leur conduite que les bruyans adeptes de ce système dans leur langage, et qu’ils n’ont souvent d’autre tort que de défendre des mesures raisonnables par des argumens qui ne le sont pas ;

5° Que leur vrai terrain pour résister plus ou moins aux progrès croissans de la liberté commerciale, ce n’est pas l’économie politique, qui les condamne, mais la politique proprement dite, qui domine et doit toujours dominer l’économie politique ;

6° Enfin qu’il ne faut s’exagérer ni les bienfaits de la liberté du commerce, ni les inconvéniens<du système contraire, quelque réels que soient les uns et les autres, attendu qu’il n’est pas donné à des combinaisons artificielles d’intervenir ou même d’altérer considérablement le cours naturel des choses.

Je tiens ces propositions pour vraies ; je ne désespère point de le démontrer. En supposant qu’elles vinssent à prévaloir, les adversaires de la liberté du commerce, ses défenseurs, les gouvernemens, les intérêts généraux de la société y trouveraient également leur compte.

Les adversaires de la liberté du commerce ont aujourd’hui le haut du pavé presque partout, hormis en Angleterre ; mais leur position n’en est pas moins précaire et périlleuse ; presque partout il leur