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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 33.djvu/869

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divisée, comme aujourd’hui, en nations politiquement indépendantes, en vînt néanmoins à former, sous le double rapport de l’industrie et du commerce, cette vaste et libre république que rêvaient les premiers économistes, et que leurs successeurs appellent de tous leurs vœux, qu’arriverait-il ?

Pour le savoir, il ne faut que se rendre compte de ce qui arrive lorsqu’un grand pays, tel, par exemple, qu’était la France avant 1789, un grand pays traversé par plusieurs lignes de douane intérieures, soumis, quant à son industrie, à des règlemens compliqués, abaisse tout à coup toutes les barrières, abolit toutes les restrictions, établit dans son sein la liberté du travail, de l’industrie et du commerce.

Selon les principes les moins contestés de l’économie politique, la conséquence naturelle, inévitable, disons mieux, la conséquence désirable de ce grand changement, c’est une nouvelle distribution du capital et. du travail national, c’est un grand déplacement des forces industrielles et de la population laborieuse.

Le capital et le travail, répartis artificiellement entre des circonscriptions arbitraires, artificiellement parqués dans des localités déterminées, artificiellement appliqués à l’exploitation de terrains relativement improductifs, artificiellement engagés dans des entreprises relativement infructueuses, désertent ces circonscriptions, ces localités, se retirent en tout ou en partie de ces exploitations, abandonnent plus ou moins ces entreprises et viennent affluer là où les richesses naturelles sont abondantes, où les frais de culture et de fabrication sont peu coûteux, où les transports sont faciles, là, en un mot, où la même quantité de travail et de capital rend 10, 15, 20 pour 100 de plus qu’ailleurs, où les bénéfices, en s’accumulant rapidement, forment de nouveaux capitaux, provoquent à l’existence, entretiennent mieux et à meilleur compte une population nouvelle.

Voilà le bien.

Voilà le but qu’on se propose et qu’on doit se proposer.

Mais point de bien, ici-bas, sans une certaine dose de mal. Le mal, c’est d’abord la destruction du capital fixe engagé dans les exploitations, dans les industries délaissées ; le mai surtout, c’est le dépérissement des localités désertées, la réduction dans la valeur des propriétés rurales et urbaines, la baisse des revenus et des loyers. C’est un mal compensé et fort au delà par le bien, quant à l’ensemble du pays ; mais c’est un mal sans compensation pour la localité qui l’éprouves, du moins pendant un temps infini, jusqu’à cette époque toujours éloignée, et plus ou moins incertaine, où la surabondance du capital et du travail force l’un et l’autre à refluer, faute de mieux, vers leur premier gîte.