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donne l’ordre de se rendre par terre sous les murs de Lampsaque. C’est à Lampsaque, en effet, qu’il en veut ; c’est sûr Lampsaque que sa flotte se dirige. Là se trouvaient accumulées des richesses considérables et des provisions en abondance. Lampsaque était devenue entre les mains des Athéniens un des bureaux de péage et un des entrepôts de la Mer-Noire. C’était aussi pour eux une tête de pont sur le continent de l’Asie et pour Pharnabaze ce que le vieux Jervis, voyant en 1795 une frégate française mouillée en rade des îles d’Hyères, appelait pittoresquement « un grain de sable dans son œil. » Lysandre promet au satrape de le délivrer de ce grain de poussière qui l’agace. Il assiège la ville et l’emporte d’assaut. Voilà déjà un premier pas de fait vers Chalcédoine et aussi vers Byzance ; il faut maintenant compter avec les Athéniens, car leurs cent quatre-vingts trières viennent de jeter l’ancre devant Éléonte, non loin de ce promontoire sur lequel s’élève aujourd’hui le château d’Europe. La flotte athénienne ne s’arrête à Éléonte que pour y préparer et y prendre son repas. Remarquez l’insistance des historiens grecs à relever avec soin ce détail qui pour nous serait insignifiant et courrait certainement le risque de passer inaperçu. Le repas dans la marine des anciens a une importance stratégique. Les plus grands événemens sont, à cette époque, la conséquence d’un marché troublé ou d’un dîner interrompu. Nous l’avons déjà vu en Sicile ; nous ne tarderons pas à en rencontrer un exemple plus frappant encore ;

Les Athéniens savent que Lampsaque est au pouvoir de l’ennemi. Qu’importe, si Lysandre ne s’obstine pas à refuser le combat comme il l’a fait à Éphèse après le grave échec infligé à Antiochus ? Les forces sont à peu près égales ; le thalassocrate ne se laissera probablement pas longtemps humilier ; la campagne peut être décidée en un jour. Conon porte donc rapidement sa flotté d’Éléonte à Sestos, de Sestos à l’embouchure de l’Ægos-Potamos ; le ruisseau qui débouche entre Sestos et la ville actuelle de Gallipoli est à la veille de conquérir un nom dans l’histoire. Les Athéniens ne trouvent pas de marché établi à ce mouillage ; rien de plus fâcheux pour une flotte obligée de se tenir constamment sur ses gardes. On devra s’aller approvisionner à Sestos et Sestos est à dix-huit milles marins du camp que l’armée occupe. Que faire cependant ? Ne fallait-il pas établir sa base d’opérations en face de Lampsaque ? L’Hellespont en cet endroit a neuf kilomètres environ de largeur. C’est à peu près la moitié du chemin qu’avait à parcourir Callicratidas quand il alla chercher la flotte de Thrasylle aux Arginuses. Arrivés à Ægos-Potamos, les Athéniens commencent par souper. Au combat de Spickeren, on a vu un vieux caporal de zouaves tenir d’une main la cuiller avec laquelle il agitait le fond de sa marmite et balancer de