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l’ordre et la liberté. Les apparentes prospérités matérielles ne tarderont guère à disparaître et ne laisseront aux yeux de tous que les ruines de tous les intérêts respectables… » Il avait été surtout ému des affaires du Mexique, de la guerre allemande de 1866, des affaires de Rome, et une de ses dernières victoires parlementaires était d’arracher au gouvernement impérial, au sujet de Rome, ce fameux « jamais » qui n’a jamais rien protégé, qui n’était qu’une équivoque de plus. Berryer avait redouté dès les premiers jours, dès 1852, « les misères et les hontes ; » il les redoutait bien plus encore après seize années d’un règne qu’il persistait à croire sans avenir parce qu’il le jugeait sans moralité, — qu’il voyait de plus en plus s’agiter entre les témérités aventureuses et l’impuissance. Il avait l’instinct ému d’un danger désormais prochain pour la nation, pour la France, et, comme M. Thiers, il aurait volontiers crié qu’il n’y avait plus de fautes à commettre ; mais déjà il se sentait lui-même atteint. Il avait épuisé ce qui lui restait de vie dans la session de 1868 ; encore à la fin de juillet il avait parlé au corps législatif.

La lumière de l’esprit et de la conscience ne pâlissait point en lui, les forces l’abandonnaient de jour en jour. Avant le déclin de l’automne, il se voyait vaincu par un mal rapidement aggravé sur lequel il ne s’abusait plus. Tout ce qu’il désirait, c’était d’aller mourir à Augerville, où il se faisait transporter en effet au mois de novembre. Il se savait perdu, il s’acheminait vers sa fin avec une gravité religieuse, sans défaillance et sans trouble, préoccupé jusqu’au bout de tout ce qui avait rempli et passionné sa vie. Ses derniers actes sont assurément caractéristiques. Au moment de quitter Paris, il avait appelé M. Marie, député de Marseille comme lui, avocat comme lui, et il avait chargé ce vieux compagnon de palais de ses adieux à l’ordre dont il était le doyen. Il avait voulu aussi, non sans y avoir mûrement réfléchi, joindre son nom à la souscription ouverte pour élever un monument au représentant Baudin, tué dans les journées de décembre 1851. Sa dernière pensée enfin était pour M. le comte de Chambord, à qui il écrivait d’une main tremblante, avec l’attendrissement d’un mourant, qu’il emportait le regret de n’avoir pas vu le triomphe de ses droits héréditaires u consacrant l’établissement et le développement des libertés dont notre patrie a besoin. » L’avocat attaché à son ordre, le libéral impénitent, le royaliste fidèle, se confondaient en lui jusqu’à la dernière heure. Il s’éteignait à Augerville le 30 novembre 1868, laissant à son temps et à son pays le souvenir d’une des existences les plus brillantes, l’éclat d’un nom popularisé par l’éloquence.

Qu’a-t-il donc manqué à Berryer dans cette carrière de soixante