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commissionnaires, portefaix, sont exclusivement Cafres, Zoulous et Hottentots. Quant aux fameux champs de diamans, les indigènes sont encore maîtres sur ce terrain, les Européens tenant mal à ce travail et dans ces campagnes absolument arides, d’où se dégagent sans interruption des tourbillons de poussière brûlante. Restent les métiers qui demandent un apprentissage et réclament une part d’intelligence ; eh bien, là aussi les ouvriers blancs rencontrent déjà la concurrence des indigènes et la rencontreront bien davantage d’ici à quelques années. Dans les deux colonies particulièrement anglaises de Natal et du Cap, il a été fondé de nombreuses écoles pour les indigènes, et quelques-unes, comme Lovedale dans la Cafrerie anglaise, sont en même temps des ateliers d’apprentissage d’où quantité de jeunes Cafres sortent charpentiers, menuisiers, forgerons, serruriers, voire typographes et relieurs. Pendant sa visite à Lovedale, on montra à M. Trollope un journal imprimé dans l’intérieur de l’école pour les besoins de cet apprentissage ; les Cafres, lui dit-on, apprenaient très vite à lever la lettre, seulement ils semblaient éprouver une extrême difficulté à disposer les pages avec ordre, imperfection qui n’est pas insurmontable et qui naît sans doute chez l’apprenti d’un reste de gaucherie sauvage. Qui nous dit que d’ici à quelques années la presse sud-africaine tout entière ne sera pas imprimée par des ouvriers noirs sous la direction de metteurs en pages et de correcteurs blancs ? Le travailleur ordinaire n’a donc pour ainsi dire pas de place dans les colonies africaines ; pour réussir, il faut qu’il soit chef d’atelier, contremaître ou surveillant : c’est assez dire combien est limité le chiffre de ceux qui peuvent y trouver le succès.

La prédominance du travail indigène donne aux villes des colonies sud-africaines une physionomie très particulière ; nulle part on n’y rencontre un homme de race blanche faisant œuvre de ses dix doigts. Voyez par exemple ce curieux croquis d’une localité de l’état d’Orange tracé par M. Trollope. « M’étant mis à la fenêtre, je vis en face de moi deux hommes occupés à crépir un mur. L’un était un Cafre et l’autre probablement un nègre de la côte de l’ouest. Deux ou trois hommes passèrent avec des fardeaux sur leurs épaules : c’étaient des Betchuanas ou des Hottentots bâtards. J’allai en flânant hors du village jusqu’à une maison de campagne, où je trouvai un Fingo comme jardinier avec un Boschiman sous ses ordres. Dans la rue, les deux hommes qui avaient conduit la voiture rompaient le pain à côté de leur véhicule. C’étaient ce que l’on appelle des Cape-Boys, gens de couleur, venus de Sainte-Hélène et qui ont du sang blanc dans les veines ; j’avais dîné un peu auparavant, et j’avais été servi par un coulie. Plus loin, dans le square, je vis des balles de laine arrangées par trois Basoutos. Deux Korannas